Un second souffle
- Vincent! Vincent Demoulin, je t'aurais reconnu même en ignorant ta présence à Hauréville.
J'avoue pour ma part que je serais passé à côté
de lui sans le remarquer; sa tignasse
noire n'est plus qu'un lointain souvenir, son crâne est bien plus lisse
que le mien, sa corpulence est
impressionnante, il doit faire le quintal facile, le gringalet que j'avais
connu a bien changé.
- Tu ne vas pas dîner seul, viens à notre table.
Une dame accompagne Georges Mathieu.
- Je te présente Patricia, mon épouse.
La dame est tout le contraire de son époux, menue, fine, une chevelure abondante aux reflets roux, un joli petit minois... plus jeune, nettement plus jeune que lui, c'est évident.
L'hôtesse déplace mon couvert sans me demander mon avis mais elle a raison; à l'idée de me retrouver face à Patricia, je suis tout à fait d'accord pour changer mes habitudes.
- Si je m'attendais à toi ici, dans ce bled perdu, curieux cette rencontre, nous sommes arrivés en début d'après-midi, quand j'ai dit à madame Lavigne que j'étais originaire d'Hauréville, elle m'a indiqué qu'un autre de ses clients était également un natif, je ne pensais pas du tout à toi avant qu'elle me précise le nom.
Nous échangeons les raisons de notre présence.
- Moi ce n'est pas pour retrouver des vestiges de mon d'enfance ou de mon adolescence que je suis revenu, ce serait plutôt le contraire, pour essayer d'effacer de ma mémoire des années de misère, de galère, pour éradiquer des souvenirs amers et je pense avoir trouvé un excellent remède, nous avons l'intention de nous installer à Hauréville, nous sommes venus visiter une maison, tu sais l'ancienne maison de Marie-Jeanne, au-dessus de la gare.
- Je me souviens, je suis passé devant hier.
Un grosse maison cachée derrière un haut mur, coiffée d’ardoises, construite au milieu d'un parc aux arbres énormes; cette propriété appartenait à une dame riche et généreuse ; une fois par an, je ne sais plus à l'occasion de quelle fête, peut-être pour l’anniversaire de l’hôtesse, tous les gosses du village étaient invités dans le grand jardin, sans distinction de condition; des tables chargées de friandises, de pâtisseries et de tasses de chocolat au lait étaient dressées à notre intention; les plus émerveillés et les plus choyés étaient justement les pauvres, les pouilleux comme nous disions méchamment, j'étais jaloux que ces enfants soient mieux traités que moi, ce n'était pas habituel; je comprends les motivations de Georges, cette envie de posséder ce domaine qui, lorsqu'il était gamin devait représenter le paradis pour lui.
- A qui appartient-elle à présent?
- Marie-Jeanne l'avait vendue en viager à Maître Quentin, c'est ce notaire le proprio actuel; il en veut un peu trop, j'espère le faire descendre, quelques travaux importants sur le gros-œuvre et de nombreux aménagements à effectuer intérieurement.
- Vous n'avez pas peur de vous ennuyer dans ce trou?
- Non, nous ne supportons plus la vie trépidante des villes et je suis un chasseur impénitent, j'étais militaire de carrière, à la retraite depuis huit ans, nous avons voyagé dans le monde entier, nous recherchons la tranquillité, et puis tu sais, un aéroport international se trouve à une heure et demie de voiture, nous sommes vite à l'autre bout de la planète si nous le désirons.
Je félicite mon ancien camarade de classe pour sa réussite, je l'ai connu commis de culture et le retrouve commandant de réserve.
- J'ai bénéficié de circonstances très favorables, je me suis engagé à une période riche en événements guerriers, l'Indo, Suez, l'Algérie, j'ai tout fait, école de sous-off et école d'officiers, cela en valait la peine, la preuve.
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