Le grand verger (suite)
Alice et moi montons tout de même quelques babioles à l'étage pour donner le change.
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La fameuse chambre verte, il fallait avoir de l'imagination pour retrouver des traces colorées sur un papier délavé et boursouflé; complètement vide, la pièce est immense, la cheminée au manteau de marbre est encore équipée de chenets à tête de lion, le plafond en lambris de bois est noir de suie.
- Un mauvais tirage par temps bas, à cause de la tour à côté.
J'étais déjà venu dans cette chambre, en cachette, j'avais remarqué qu'elle possédait une autre porte, impossible à ouvrir, condamnée de l'extérieur. J'avais fait le tour, passé par ce qui était l'escalier de service quand le château avait du personnel domestique à demeure, un escalier sombre et craquant de toutes ses marches. Je m'étais heurté à une cloison de bois, élément rapporté sans aucun doute.
- Cette porte t'intrigue mon grand? elle servait à des desseins pas très catholiques, tes ancêtres n'étaient pas tous des saints hommes, cette ouverture permettait à la servante en état de grâce de venir rejoindre en catimini son maître vénéré afin de lui prodiguer des services bien particuliers... la dernière fois qu'elle a servi, c'était un 1er janvier, tu t'en doutais je pense.
- Mon père avec une employée de maison.
- Tout juste, surpris par ta grand-mère... cette femme pudique et pieuse avait été terriblement choquée, son fils préféré se comporter ainsi, la pauvre avait eu une syncope. Ton grand-père avait réagi comme un homme de sa génération, il avait pardonné à son fils et renvoyé la pauvre fille.
- La fille, c'était... Maria?
- C'était bien elle en effet… de parents Polonais, elle venait travailler à la cuisine les jours de fêtes ou de réceptions, selon les besoins, elle te gardait de temps en temps, te surveillait, particulièrement quand nous recevions, car tu étais un petit diable figure-toi, justement quand nous avions du monde, pour te faire remarquer. Maria était une jeune fille travailleuse et réputée sérieuse. Ton père avait quelques défauts, dont celui d'aimer les jolis minois, que veux-tu.
- Et maman?
- C'était leur affaire, Jean était en permission, ta mère n'était pas toujours facile, elle ne l'est toujours pas, tu le sais, et ce jour-là le couple était en bisbille.
- Et que fait Maria au milieu des bois à présent.
- Après cette histoire qui a fait grand bruit dans Labréville car nous avions de nombreux invités ce jour-là, la famille Polonaise a quitté le village, destination inconnue. Quelques mois auparavant, un certain Albert Moreau, natif du hameau de Pochères s'était installé dans la maison de ses parents décédés, ce petit bonhomme avait passé de longues années en Afrique noire, c'est un original, intelligent et débrouillard. Il proposait ses services aux femmes seules, les veuves de la guerre 14, également celles dont le mari est mobilisé et ensuite prisonnier, il réparait un robinet par ci, changeait une ampoule par là, réparait une chambre à air de vélo, fendait du bois, taillait une haie, reclouait un lit de gosse, il était bien utile crois-moi... dans d'autres domaines aussi.
- Je vois le genre, joindre l'agréable à l'utile.
- Malgré sa petite taille et son aspect curieux, il arrivait à séduire, de mauvaises langues disaient que j'avais également succombé mais c'est faux.
Ma tante n'a aucune raison de se justifier, seulement son trouble apparent quand elle parle d'Albert me met mal à l'aise. J'ai de nouveau de vilaines pensées que je tente de chasser, maman? non, impossible, elle qui a tant pleuré papa. Me reviennent certaines paroles d'oncle Charles, un jour où il était en colère contre moi, que je lui avais soi-disant manqué de respect, il m'avait traité de fils de catin, j'avais couru vers le dictionnaire pour lire une définition qui me restait en travers de la gorge, j'avais même eu des idées de meurtre, je voulais venger l'honneur de ma mère, je devais avoir huit ou neuf ans.
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