Un été ordinaire
Je n’avais plus qu’un but, surprendre mon père avec Sylvette, le mettre au pied du mur, simplement pour qu’il sache que ses manigances ne sont plus secrètes. Je voulais le prendre en défaut surtout pour l’empêcher de continuer son oeuvre de destruction. Félicia venait de revenir au village, provisoirement elle était hébergée chez une parente avant de vivre avec sa mère Anna dans le logement libéré des Ramirez. Félicia est réellement jolie, brune aux yeux bleus, elle rayonne de joie. Dès son premier jour de travail, elle se fait remarquer par sa dextérité et sa précision à agrafer les boîtes à fromage.
- A croire qu’elle a fait ça toute sa vie.
Fernand ne tarissait pas d’éloges sur la demoiselle.
- Intelligente la brunette, tu as vu ses mirettes, son père doit être un soldat Américain, ils ont laissé des traces les machouilleurs de chewing-gum, plus que les boches, encore heureux que ce n’était pas un noir... quoique, regarde le gamin de Gisèle, un beau métis...
Fernand avait lui aussi gardé des traces des Américains, quatre ans de travail dans un dépôt de l’armée, il fumait des blondes.
Félicia m’attirait irrésistiblement, bien vite j’avais cherché le contact avec elle, quelques réticences puis nous avions eu l’occasion de bavarder pendant la pause du matin. Encore un peu timide, elle s’exprimait bien et me résumait sa vie.
- J’habitais chez ma grand-mère jusque l’an dernier, du côté de Dijon, sa maison était moins triste que celle de maman, malheureusement la pauvre femme est tombée malade, elle est rentrée à l’hospice et j’ai été placée dans une maison, chez un notaire, je faisais le ménage et m’occupais de deux enfants en bas âge, beaucoup de travail mais je n’avais pas le choix... finalement, je préfère travailler en usine, être au service de gens à longueur de journée et même la nuit c’est une sorte d’esclavage.
- Et ton patron était correct avec toi?
- Tu veux dire qu’il n’essayait pas de...si plusieurs fois, c’est courant chez ces gens-là, ils se figurent que tout leur est permis, mais je l’ai envoyé sur les roses et l’ai menacé de prévenir sa femme, il n’a plus jamais recommencé.
Décidément c’est une mauvaise habitude des hommes d’un certain rang, le droit de cuissage existe encore, quelle honte.
- Et dans le cas où tu serais sollicitée par le patron de la société Delanaud, que ferais-tu?
- Sollicitée? Tu veux dire embêtée? Par qui? Par toi...ça m’étonnerait, tu as l’air tellement gentil.
- Et mon père comment le juges-tu?
- A première vue il est bien poli mais au début le notaire était pareil, tout mielleux, alors je me méfie. Si ton père me manquait de respect, j’avertirais immédiatement sa femme.
- Ce n’est pas vraiment sa femme.
- Je sais maman m’a raconté mais c’est pareil.
- Tu as un faible pour le prolétariat féminin, tu accapares la petite nouvelle, fais attention aux intrigantes.
- Frédéric a l’âge requis pour faire la cour aux filles, il ne sort jamais et n’a donc pas l’occasion de rencontrer des demoiselles de son rang, quant aux intrigantes, je suppose que je suis cataloguée dans cette catégorie depuis longtemps.
- Ma Nina, pourquoi grimper sur tes grands chevaux, je ne remplis que mon rôle de père.
C’était bien la première fois que Marina prenait ma défense avec autant de conviction, c’est certain, l’esprit de maman est revenu dans la maison. Les branches coupées au-dessus du toit, ma désaffection pour le chalet qui abrite des ébats honteux, elle ne pouvait rester dans ses parages, elle est revenue vivre sous notre toit.
Jamais je ne pouvais imaginer qu’un petit chalet de rien du tout fasse une telle flambée, un véritable feu d’artifices, des étincelles jaillissaient de ce brasier et montaient droit vers le ciel. Je regardais ce spectacle caché dans le bosquet de noisetiers, personne ne pouvait me voir. La purification par le feu, voilà ce que je voulais, maman m’avait approuvé et même poussé à commettre cet acte, cet endroit où elle avait connu des moments de calme devait être rayé du paysage. Et dire qu’en voyant mon père regarder dans cette direction, j’imaginais qu’il pensait à la disparue alors qu’il avait bien d’autres idées en tête, des idées écœurantes. Les pompiers de Calaumont venaient d’arriver, ils n’avaient plus besoin de dérouler leurs tuyaux, dans quelques minutes l’incendie serait éteint faute de combustible.
- Le même incendiaire qu’à la scierie, cette fois il a réussi son coup.
Malgré sa peur, Sylvette venait me rejoindre, elle seule avait deviné ma cachette.
- C’est toi Frédéric, je suis sûre que c’est toi qui a fait ça, tu as bien fait, moi je n’aurais pas eu le courage.
- Tiens, j’ai préservé la clé, tu ne te tromperas plus de trou, je te la confie, il faut que tu fermes la porte toi-même.
- Je vais la fermer, s’il veut la forcer, je le tue, tu entends je le tue.
Jamais je ne pouvais imaginer qu’un petit incendie de rien du tout mobilise la gendarmerie jusqu’au niveau du capitaine, il venait de réunir toute la maisonnée dans la grande salle.
- Vous êtes personnellement visés, l’usine passe encore, mais la destruction de ce chalet prouve que le motif de la vengeance ne s’adresse pas seulement à l’entreprise, c’est mon analyse.
J’étais sur le point d’avouer quand Emilien frappait à la fenêtre.
Le capitaine Allard avait un mouvement d’impatience.
- Brigadier, allez voir ce que veut cet olibrius.
A travers la vitre, je voyais Emilien parler au gendarme, il faisait de grands gestes. Le brigadier revenait et invitait l’officier à le suivre dehors. A nouveau de grands gestes d’Emilien.
- Vous pouvez disposer messieurs et mesdames, nous tenons l’incendiaire, Emilien Duchamp vient d’avouer sa bêtise, un accident dit-il, nous allons vérifier ses dires.
Le chef de brigade venait nous informer.
- Emilien, un accident, lui si prudent, enfin si il avoue, vous êtes sûrs au moins?
J’étais pris entre le marteau et l’enclume, pour quelles raisons le brave Emilien prenait à son compte un acte qu’il n’avait pas commis, m’avait-il vu?
- Nous l’emmenons à la brigade, il nie la première mise à feu et nous fournit un alibi que nous allons vérifier.
Sylvette m’avait pris par le bras et m’entraînait vers les communs.
- Il t’a certainement aperçu mettre le feu, mais tu sais qu’il avait la même idée que toi, il m’en avait parlé, finalement c’est comme si c’était lui.
Quel soulagement de voir revenir les gendarmes laissant le légionnaire libre de retourner chez lui.
- C’était bien un accident, ses explications correspondent à nos conclusions. En ce qui concerne l’incendie de la scierie, son alibi a été vérifié, il est attesté.
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