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Albert Moreaux m’avait recommandé de prendre des bottes, je comprends. A partir d’un chemin en bon état, celui qui s’enfonce dans la forêt est boueux et creusé de deux ornières où stagnent des eaux croupies.

-Voilà les chasseurs modernes, incapables de marcher un peu dans la forêt, avec leur 4/4, ils abiment les chemins forestiers, je vais en parler à Norbert.

Nous avons parcouru environ cinq cents mètres, nous arrivons au pied d’une butte, devant une baraque en planches, assez délabrée.

-C’est l’ancien chalet des chasseurs, il est abandonné depuis plus de quarante ans, un nouveau a été construit sur l’ordre de Gauthier, de l’autre côté du versant, plus proche du village, plus accessible en voiture.

-Couturier serait donc passé ici le jour du meurtre ?

-Obligatoirement, à quoi pensez-vous ?

-Imaginons qu’il soit venu le matin afin de cacher un fusil dans ce baraquement, il le récupère en passant et va abattre Gauthier, où était posté l’ainé des Verlimont ?

-Venez sur la petite butte.

Nous escaladons le monticule.

-Voyez la partie un peu dégagée en contrebas, c’est là que Gauthier est mort.

-Et le poste de Norbert ?

-Le numéro 1, celui où se postait habituellement le docteur Marnat était un peu plus sur la gauche…Non, je me trompe, je reconnais le gros chêne tordu, il est presqu’en lisière, le poste que nous voyons est donc le numéro 1, le numéro 2 est plus à droite, derrière la charmille.

-Alors le coup n’est pas parti d’ici, il n’y a aucune visibilité.

-Attendez, ce taillis sous futaie a dans les quatre à cinq ans, à l’époque, la visibilité était dégagée, avant les chasses, un débroussaillage était effectué, ce n’est plus le cas, ça coûte trop cher.

Je cogite, et si le tueur s’était trompé de cible ? Il avait ordre de supprimer l’artiste, un boulet pour son grand frère. En admettant que Norbert soit la victime, le principal suspect pouvait être aussi Jean Calluis, Gauthier avait proclamé que Thérèse continuait à voir le benjamin des Verlimont. La fuite de Maurice Couturier était plausible, il a vite compris qu’il s’était trompé de chasseur, sans son mentor, il risquait d’avoir de gros ennuis. Un scénario qui, à mon avis, tient la route.

-Vous vous souvenez comment étaient vêtus les deux frères ce jour-là ?

Monsieur Moreaux est visiblement surpris de cette question.

-Comme tous les chasseurs, c’était déjà l’époque des tenues camouflées, des treillis,  une petite casquette…Je vois où voulez en venir, une erreur sur la personne… Je comprends mieux votre intérêt pour ce Maurice Couturier, je me disais aussi, supprimer la poule aux œufs d’or…Mais vous pensez que le procès peut être révisé ? Tant d’années après.

-Les réhabilitations sont rares mais elles ont le mérite d’exister.

-En tous cas, si mon témoignage peut être bénéfique à Jean Calluis, je suis à la disposition de la justice.

-C’est une éventualité, encore une question, je suppose que tous les participants de la chasse se sont rassemblés à l’endroit du crime, Couturier était-il présent ?

-Bien entendu, la chasse a été immédiatement stoppée, les gendarmes ont été avertis, ils étaient en tournée dans le secteur, ils sont arrivés rapidement sur les lieux, mais je ne me souviens plus si tous les rabatteurs étaient là, nous étions sous le choc, malgré la personnalité controversée de la victime, un mort est un mort, surtout dans de telles circonstances.