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Le grand verger (suite)

Ce lundi de fin septembre sentait l’automne, les feuilles commençaient à changer de couleur, quelques unes, fatiguées de se cramponner à leur branche, se laissaient tomber lentement, mollement. Le vent tournait vers le nord-ouest, frais et humide, poussant des nuages lourds de menace.

Encore une semaine et au revoir Labréville, j’allais tourner une nouvelle page de ma vie. Les vacances qui s’achèvent ont été mouvementées, je me souviendrai de cette année 1953, elle fera date,  la disparition tragique de grand-père, mon entrée dans la cour des grands. J’aurais envie de revenir en arrière, de tourner le dos à l’avenir car je sais qu’il va falloir prendre des responsabilités, supporter des contraintes, subir des revers dans tous les domaines. Jusqu’à présent j’étais dans un cocon, toutes les arêtes étaient arrondies, mon entourage plaçaient des ponts me permettant de traverser le moindre fossé sans encombre, les barrières protectrices sont tombées maintenant, je dois marcher seul. Les discussions d’hier avec monsieur Durieux préfigurent  le monde que je vais devoir affronter, je me sens encore incapable de calculer, compter, prévoir.

 

Chaque arrêt prolongé dans le centre du village voyait plusieurs gamins s’agglutiner autour de ma moto, fréquemment à la boulangerie où il faut parfois attendre la prochaine tournée. C’est le cas aujourd’hui et les clients se pressent dans la petite boutique. Les bavardages vont bon train, tous les gens de la commune sont passés en revue. Quand j’étais plus jeune, j’étais toujours servi le premier quelque soit mon tour, non par souci d’étiquette mais pour se débarrasser de moi le plus vite possible afin de continuer à dégoiser sur ma famille. Nous étions la cible de tous les villageois, par devant des courbettes et par derrière des coups de poignard disait oncle Charles. Seulement, à chaque élection municipale le Montcy de service recueillait tous les suffrages. Nous sommes moins critiqués à présent, les temps changent, d’autres Labrévillais ont pris une certaine importance, monsieur Weber, le patron de l’hôtel-restaurant, monsieur Rossi l’entrepreneur de travaux public, monsieur Lebrun l’exploitant forestier, demain les Durieux seront aussi au sommet du gotha de Labréville.

 

- Elle file à combien ta moto?

- Vite quand tu l’entends, il est déjà passé.

Les jeunes garçons sont en admiration devant la Norton, les plus hardis caressent le réservoir.

- Elle est chouette, j’en veux une comme ça.

- Ton père est trop pauvre, c’est cher hein monsieur Olivier?

Je laissais toujours les gosses s’exprimer, répondant par monosyllabes.

 

- Une explosion...à la verrerie !

Un cycliste arrive, essoufflé, la boulangerie se vide illico.

- Tout a sauté, chez l’homme des bois.

- Chez lui ou plus loin?

- J’étais au-dessus dans une coupe, j’ai vu des planches et des rondins sauter en l’air, une explosion terrible, faut y aller.

- Tu as été voir sur place?

- Ben non, j’avais la frousse que ça saute encore.

Un jeune homme s’approche de moi.

- Vous connaissez le chemin, je suis pompier, vous pouvez m’emmener? vous autres prévenez le chef des sapeurs et monsieur le maire, téléphonez tout de suite.

Pas besoin de sirène pour faire le vide dans les rues, la partie goudronnée est vite avalée, nous survolons le chemin caillouteux.

Un spectacle de désolation, toute une partie de la cabane est éventrée, des morceaux de bois et de tôles jonchent le sol, un silence de mort plane dans la clairière, même les oiseaux se sont tus.

Le pompier appelle, rien ne bouge, nous approchons.

- Faites attention aux clous dans les planches.

Nous franchissons un premier barrage de planches fracassées, nous sommes au-dessus de la terrasse, des mottes de terre argileuse parsèment le désastre.

- Par là, quelqu’un.

Maria geint, à demi enfouie sous des panneaux  de bois en équilibre instable.

- Ne bougez surtout pas, aucun geste, nous allons vous dégager.

Pendant que je tire délicatement les planches et des fragments de rondins, mon coéquipier maintient le tout avec son dos, protégeant la victime.

 - Vous avez mal, où?

- Et Albert?

Une jambe saigne, le pompier essuie les plaies avec un morceau de sa chemise qu’il a déchiré.

- Des égratignures, trois fois rien.

Maria peut se relever.

- Albert là, dessous, vous chercher vite.

Le futur lac ressemble à un cratère de volcan, le paradis terrestre s’est transformé en enfer.

Nous crions en vain, aucune réponse.

- Il faudrait un chien.

Nous n’avions pas entendu les voitures arriver dans le chemin, elles sont bloquées avant le ponceau, les premiers villageois, monsieur le maire à leur tête descendent le sentier en courant.

- Occupez-vous de la femme, nous cherchons un homme.

Je progresse lentement parmi les obstacles, je suis rejoins par deux hommes dont l’instituteur.

- Combien de personnes encore dessous?

- Une seule, Albert.

 

- Ne cherchez plus, il est là...n’approchez pas, dégagez les jeunes, monsieur le maire empêchez les gens de monter ici, c’est dangereux et puis...

Je me dirige vers le jeune pompier.

- Laissez monsieur Montcy, le pauvre homme est en charpies.

- Mort?

Je sais que je pose une question idiote, seulement je l’avais cru mort une fois, au bord de la route.

- Plus que mort, déchiqueté, certainement un obus, ça sent la poudre.

Effectivement une odeur bien différente de celle des sous-bois flotte sur cette désolation.

- Dis-moi Olivier, tu connaissais l’existence de cette habitation, tu connaissais Albert et sa Polonaise?

Je vais avoir des comptes à rendre à mon oncle.

- Maria est indemne, choquée la pauvre fille, nous allons la faire transporter à l’hôpital de Monclair, les gendarmes devraient arriver, ils ont été prévenus.

Une trentaine de personnes, en majorité des hommes est rassemblé dans la clairière, monsieur Gaspard, le garde-champêtre bloque les curieux qui affluent encore.

- Interdit d’aller plus loin, des risques d’explosion sont possibles.

- Que s’est-il passé ?

Charles me questionne.

Je donne ma version, expliquant qu’Albert creusait une cuvette pour aménager un bassin d’eau.

- Et tu étais au courant de ces travaux, comment se fait-il? tu fréquentes ces gens?...Gustave tu rapatries les chèvres, tu peux les garder chez toi, tu as la place.

- Les chèvres oui, mais pas le bouc, le mien serait jaloux, par contre, je peux prendre les poules et le coq.

Les gendarmes ne peuvent que constater l’ampleur du désastre.

- Nous allons faire venir une équipe de spécialistes pour rassembler les morceaux du pauvre homme...des démineurs également, d’autres obus pourraient se trouver dans les parages.



31/12/2010
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