Les yeux de la lune
- Si nous allions dire un petit bonjour à Simone, ainsi tu feras connaissance avec son fiancé, qu’en penses-tu mon garçon ?
L’offre de grand-père me plaisait.
Quinze kilomètres séparaient Brécourt de la ferme des Noyers, le seul problème c’est que mon vélo avait été volé.
Louisette était d’accord pour nous prêter celui de Ferdinand.
- Autant qu’il roule sinon il va rouiller.
Les abords de la ferme des Noyers étaient sales, la maison était sale, les Develde étaient sales, tous sauf Edouard. Des cheveux noirs gominés, une fine moustache, un gilet moiré, un pantalon de golf, je comprenais l’admiration de ma tante pour ce dandy.
- Ah ! c’est toi le fameux neveu, je croyais voir un morveux timide, t’es pas encore sec derrière les oreilles mais tu as une bonne gueule, d’ici quelques années, les gonzesses vont te courir après, veinard.
Edouard me donnait une tape amicale sur l’épaule et partait d’un grand éclat de rire.
- Je sens qu’on va bien s’entendre tous les deux.
Simone ronchonnait.
- Tu ne vas commercer à débaucher mon neveu, il n’a que treize ans… nous allons rentrer avec vous.
- Bonne idée mais où va coucher Edouard ? Questionnait grand-père.
- Le logement de la ferme est libre, et puis nous avons décidé de nous marier en novembre.
Grand-père pinçait les lèvres.
- Vous marier d’accord, mais sans tra la la, dans une telle période, ce serait indécent.
- Juste la famille, nous en reparlerons.
J’avais bien des difficultés à ingurgiter la potée qui débordait de mon assiette, une potée où les choux étaient majoritaires, et j’avais horreur des choux, comme des gros boutons...Jacqueline... j’avais envie de la revoir, et Pierrot ?
Grand-père devait lire dans mes pensées.
- J’ai oublié de te dire, ton copain Pierrot, il
travaille à la ferme, un bon garçon, je ne sais pas si les futurs jeunes mariés le garderont.
- Si il est courageux, naturellement, n’est-ce pas Simone.
Edouard me devenait sympathique.
Le vélo de Ferdinand avait un porte-bagages et je devais trimballer la valise de monsieur Edouard, elle était encombrante et lourde. Les fiancés filaient à belle allure, prenaient de l’avance et nous attendaient à l’ombre d’un arbre ou dans un bosquet, j’entendais leurs rires avant d’arriver à leur hauteur. Que je voudrais être plus âgé pour moi aussi chatouiller les filles...Lily, qu’est-elle devenue à Paris ? morte peut-être, ensevelie sous les gravats de son immeuble bombardé, comme celui de Neufchâteau.
Pierrot était heureux de travailler à la ferme, il était également heureux que son beau-père soit prisonnier en Allemagne.
- Finis les coups de pied au cul et les calottes pour un oui ou un non, si seulement ce salaud restait en Allemagne...tu as revu Jacqueline ?
Je ne l’avais pas oubliée.
- Tu ne la reconnaîtras pas, j’te jure.
Pierrot me mimait des rondeurs avantageuses, ma curiosité était piquée à vif et j’allais faire un tour dans la rue des Jardins.
Elle avait encore une blouse à gros boutons mais mon copain avait raison, la morphologie de la demoiselle avait changé.
Je pensais qu’elle allait me sauter au cou mais elle me plantait au beau milieu de la rue.
- J’ai pas le temps de discuter avec toi...gamin, j’ai une lessive à faire.
Son « gamin » méprisant m’irritait, j’aurais voulu lui prouver que moi aussi j’avais changé.
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