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La nymphe vengeresse

Je suis obligé de mettre mes investigations en veilleuse, plusieurs événements graves surviennent dans la région, dont un incendie dramatique, quatre morts dans une maisonnette parmi lesquels deux enfants, un drame consécutif à la misère, le père au chômage depuis trop longtemps, un appareil de chauffage défectueux, non contrôlé. De nombreux accidents de la route, la première couche de neige sur les routes surprend toujours les petits malins qui n’ont peur de rien, ils ont des véhicules solides, qui tiennent bien la route, des freins sûrs et des airbags, ils se croient immunisés. Un meurtre en prime, celui d’un patron de bar, proxénète de surcroît abattu lors de son footing matinal, probablement un règlement de comptes, ce n’est pas demain que le coupable sera démasqué, la loi du silence est toujours appliquée...elle. J’ai toujours des réticences quand je relate ce genre d’affaire sordide,  j’aimerais faire court mais le rédacteur me pousse à extrapoler.

- Les statistiques le prouvent, les crimes passionnels et ceux qui touchent le milieu  sont ceux qui attirent le lectorat, nous pouvons majorer le prix des publicités voisines, n’oublie pas que nous travaillons pour une société à but lucratif.

Il a raison de me rappeler cette évidence, du tirage, voilà la seule raison valable qui doit nous motiver.

 

Un coup de téléphone au club hippique des Grands-Bois bouscule mon plan d’action.

- Nous sommes exceptionnellement fermés jusqu’au 5 mars, des travaux importants de rénovation.

Il faudra que je me débrouille autrement pour rencontrer Elisa.

 

C’est un coup de fil du maire de Mauzieux qui me ramène vers la clairière.

- Incroyable, Isabelle Lemarquis abandonne, elle cède son affaire à la société Mobal, la plus grosse ébénisterie du bourg, une boîte à capitaux Danois.

- Des ennuis d’argent ?

- Cela m’étonnerait, elle vend également sa maison et quitte Mauzieux, une décision aussi rapide qu’imprévue, c’est curieux.

 

Les patrons ont quelques fois de bonnes idées, je me demandais comment je pourrais justifier mes visites dans la vallée si aucun élément nouveau n’intervient.

- Faites-nous un reportage sur l’abattage des bois, sur la vie des gens de la forêt, nous parlons des artisans boulangers, des bouchers et autres, les bûcherons doivent avoir des tas d’anecdotes à raconter...cela sort de votre cadre habituel ? c’est ce que vous aviez désiré je crois... ou alors vous voulez que j’envoie Norbert ou Daniel ?

 

La neige tombée la semaine dernière est fondue partout sauf sur les hauteurs de Mauzieux, et particulièrement sur le sommet d’une colline dénudée, la calotte blanche brille au soleil de décembre. Le froid est assez vif et la météo annonce de fortes gelées pour les nuits prochaines.

J’arrive devant le café des Joncs sans avoir demandé ma route, avec une telle enseigne, le troquet ne pouvait se situer que dans la partie basse du village, près du ruisseau.

C’est le calme dans la grande salle à peine éclairée, trois clients sont attablés et parlent à voie basse comme des conspirateurs, au fond, dans une pièce annexe, un jeune homme calme ses nerfs sur un flipper. La patronne a largement dépassé l’âge  légal de la retraite, son visage est fripé comme un pruneau, ses cheveux sont aussi blancs que la barbe du père Noël, les verres de ses lunettes sont voilées de crasse. Le décor est à son image, les boiseries sont noires de fumée, le parquet  bien fatigué, il s’affaisse par endroits. Quant au comptoir, il a beaucoup souffert, en bois massif, il est entaillé de toutes parts, les bûcherons doivent certainement tester le tranchant de  leur hache sur le malheureux madrier de chêne avant de partir en forêt.

Je commande ma boisson habituelle et repousse le verre, le joueur de flipper jette un coup d’œil dans ma direction, il n’est plus seul à boire un Coca à la bouteille.

- Monsieur Radzic n’est pas là ?

- Monsieur ...Radzic ?

La grand-mère m’examine au-dessus de ses binocles.

- Tito vous voulez dire, vous voyez bien qu’il n’est pas là.

- Qu’est-ce que vous lui voulez à Tito.

Un client s’est levé et m’apostrophe.

- Lui parler, tout simplement.

- Vous avez entendu la patronne, il n’est pas là.

Un autre quidam se lève à son tour et vient vers moi, il me semble un peu moins agressif que son collègue.

- Faites pas attention monsieur Passy, Louis est un mal élevé, moi c’est Roger Valeau, je travaille à la scierie.

- C’est vous qui avez découvert le corps du maire je crois ?

- Exact, j’étais avec monsieur Julien, ça m’a fait un sacré choc de voir le patron allongé les bras en croix, jamais j’aurais pensé qu’il était mort. J’ai dis aux gendarmes que pour moi ce n’était pas un accident, tu parles, ils m’ont rit au nez.

- Vous aviez des indices étayant votre thèse ?

- Vous voulez dire si j’avais remarqué des choses bizarres ? oui, la pierre qu’il a cogné en tombant, pour moi elle avait été déplacée avant, les autres à côté étaient plus enfoncées dans le sol et avaient de la mousse.

- Le maire avait des ennemis ?

- Comme tout le monde, vous savez il y a toujours des jaloux, pour moi c’est une histoire de femme ou  de pognon, peut-être les deux à la fois.

L’entrée d’un nouveau client met fin aux confessions de Roger, je reconnais l’arrivant, c’est Bob.

- Tiens, monsieur le journaliste est encore chez nous, vous vous plaisez bien chez les simplets, ici vous êtes tombé sur des vedettes, que raconte cet imbécile de... ‘pour moi’ ?

Roger retourne à sa table, Louis le mal élevé le suit, puis le troisième larron se lève et tout le monde sort.

J’offre à boire à Robert.

- Quelle belle équipe, un conseil, avec ces gaillards, oubliez ce qu’ils vous disent.

- Vos amis travaillent ?

- Jamais le samedi, ils ont emmené leur femme au supermachin de Serville, c’est peut-être moins cher qu’à l’épicerie du coin, mais ils achètent plein de trucs inutiles, et avec les gosses c’est pire, ils ont vite fait de remplir les caddies...Alors vos recherches avancent, vous vouliez voir le Yougo je parie, voilà un zig qui doit avoir des choses à se reprocher, je le verrais bien dans la peau d’un assassin.

- Les trois ?

- Le premier pour le dépouiller, le vieux par jalousie et André pour avoir la place libre.

- Isabelle et Tito ?

- C’est comme je vous le dis, entre nous, ma femme fait des heures de ménage chez Lemarquis, elle a surpris des conversations téléphoniques.

- Votre femme va perdre sa place, madame Lemarquis quitte Mauzieux.

Bob devient pâle.

- Vous êtes certain...elle retrouvera d’autres employeurs, c’est une bosseuse ma petite Mado...bon je file, je lui ai promis de rentrer de bonne heure, merci pour la tournée, je vous revaudrais ça.

- Je vais fermer...

La patronne aboie comme un perroquet. Je règle les consommations et quitte cet endroit inhospitalier, le jeune homme au flipper sort en même temps que moi.

- Vous êtes crevé de l’arrière.

Le pneu est à plat comme une galette, j’ai certainement attrapé un clou.

- Vous avez une roue de secours au moins ?

- Je pense qu’elle est à sa place, c’est ma première crevaison avec cette voiture.

- Je peux vous donner un coup de main, c’est mon boulot, mon vieux est garagiste, sur la place.

C’est beau la technique mais il faut être du métier pour l’apprécier, le mécanicien change la roue en quelques minutes alors que je m’escrimerais encore sur l’enjoliveur.

Mon aide refuse un pourboire.

- C’est drôle, cette roue complètement à plat, vous allez le temps de passer au garage ? vous me suivez.



26/10/2011
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