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-Nous sommes accablés, rien ne laissait présager une tel drame, d’ailleurs nous ne réalisons pas encore, l’impression que Jacky va arriver d’une minute à l’autre, qu’il va faire le tour de chaque service en saluant les hommes et en embrassant les dames, qu’il va avoir pour chacune et chacun un mot sympa avant de rejoindre son bureau puis, après avoir reçu son courrier ou quelques coups de fils, refaire le tour en nous faisant des reproches, parfois en nous engueulant, nous étions habitués et c’était passager.

-C’est vous qui dirigez la société actuellement ?

-Provisoirement, sa première femme, Annie Legrand, a encore des actions dans la société, à hauteur de 20%, c’est important, c’est elle qui lui avait mis le pied à l’étrier, elle avait une fortune personnelle et des entrées dans les milieux politiques et financiers, d’ailleurs Jacky était toujours en relation avec elle, si elle avait retiré ses billes, c’était la cata !

-Elle pourrait éventuellement reprendre l’affaire ?

-C’est possible, elle connait bien la maison, elle a travaillé dix ans avec Jacky, même après leur divorce.

-Si je me souviens bien, ensuite, votre patron a épousé sa secrétaire.

-Exact, Ludivine, après seulement quatre mois de présence, elle a su l’embobiner, une intrigante.

-Et puis ensuite, un nouveau divorce, pour quelle raison ?

-Cette fois, c’était le contraire, Ludivine le trompait, il n’a pas supporté.

-La secrétaire actuelle, c’est celle qui a succédé à la seconde épouse ?

-Non, depuis Ludivine, deux autres sont passées comme des météores, elles n’appréciaient pas les attentions particulières du patron, avec Sophie, l’actuelle, tout se passe parfaitement bien, il la respecte, il faut dire que c’est une perle, pour une fois, il a fait passer l’intérêt de la SIC avant ses envies, je vais vous la présenter, en deux ans, elle a assimilé la complexité de la maison, toutes les ficelles qu’il faut tirer pour la faire fonctionner, sans elle, avec cette brutale disparition, la situation deviendrait difficile à gérer, même les banques lui font confiance, elle avait une procuration depuis trois mois alors que Jacky n’avait jamais accordé cette prérogative aux précédentes, c’est vous dire,  les comptes professionnels sont restés ouverts.

Je suis un peu surpris d’apprendre cette disposition prise par Vernet trois mois avant sa disparition, et s’il s’était réellement suicidé ? Ou alors il se savait sérieusement menacé et avait pris des précautions pour que son affaire continue à vivre en cas de malheur !

-Annie Legrand a peut-être aussi un bon indice de confiance dans les milieux financiers.

-Je le pense aussi et les deux femmes s’entendent bien.

-Vous avez quelques ennuis en ce qui concerne les projets en association avec Monimmo, il me semble.

-C’est la loi dans le domaine de l’immobilier, le dernier nous cause pas mal de soucis, et pourtant c’est peut-être celui  qui est le mieux pensé, Sophie nous a trouvé un jeune architecte de talent, monsieur Monti adhère à ses idées.

-Il s’agit des Vergers du Montcy ?

-C’est ça, nous sortons des sentiers battus, je dirais même que nous allons à l’encontre des tendances actuelles en mélangeant des habitations individuelles pour des employés et des cadres, des collectifs pour des revenus modestes et des pavillons réservés aux personnes âgées, Jacky avait une réputation de fonceur, certains le traitaient de bulldozer  mais c’était aussi un humaniste, il estimait que mettre les gens dans des ghettos était déplorable.

Je veux bien croire Sylvain Raulet mais ces révélations me surprennent.

-Vous avez des problèmes avec les écologistes qui vous reprochent d’urbaniser un espace vert.

-Pourtant, ils ont le dossier, ils savent qu’il est prévu de préserver de nombreux espaces, de conserver même quelques arbres fruitiers, vous imaginez, des cerisiers, des pruniers et des pommiers au cœur d’une cité de cinq mille habitants !

-C’est peut-être aussi en opposition au maire ?

-Vous avez tout bon, monsieur Passy, les écolos et autres opposants ont les élections municipales dans le collimateur et si une tel projet se réalise avec un succès assuré, la perspective de virer le maire s’amenuise… Venez, je vais vous présenter Sophie.

Du charme, mais sans plus, je m’étonne que cette demoiselle ait retenu l’attention de Jacky Vernet, sa jeunesse peut-être, à vue d’œil, elle doit avoir à peine vingt cinq ans.

Elle s’exprime parfaitement, sûre d’elle.

-J’espère que la police ne va pas entériner l’hypothèse du suicide, le commissaire m’a longuement interrogée, j’aimerais l’avoir persuadé de rechercher le ou les coupables de cet assassinat.

-Sa présence au bureau  alors qu’il était parti plus tôt, il serait donc revenu dans la soirée pour accomplir ce geste fatidique.

-C’est incompréhensible, il pouvait se donner la mort n’importe où, chez lui, pourquoi serait-il revenu ici.

-Vous n’avez pas de gardien ?

-Non, le secteur est habité, nous ne sommes pas dans une zone isolée, et puis nous avons un contrat avec une société de gardiennage, des rondes sont effectuées chaque nuit et chaque jours fériés à des heures irrégulières.

J’ai comme l’impression que Sophie retient des larmes, elle était peut-être plus proche de son patron que Sylvain  le pense.

Nous regagnons le bureau de l’adjoint.

-Une dernière question, vous qui étiez son bras droit, concernant sa vie privée, que savez-vous ?

-Sa vie privée, elle est dans le domaine public, en plus des deux femmes qu’il a épousées, il avait de nombreuses relations, c’est bien connu.

-Son fils est le seul héritier, je crois, Ludivine risque de revenir aux affaires.

-Ne m’en parlez pas, c’est ce que nous craignons, entre les deux ex ça va chauffer.

-Le gamin voyait son père ?

-Plus depuis deux ans, à chaque rencontre entre Jacky et Ludivine, c’était le cirque, c’est ici que se faisait le transfert.

-Il en souffrait ?

-Possible, mais il n’en parlait jamais.

-Et le poker ?

- Il nous disait qu’il avait sérieusement ralenti car il commençait à perdre, mais vous devez avoir des informateurs plus au courant que moi je suppose.

Raulet a raison, je vais me renseigner auprès du cercle bien connu de joueurs invétérés.

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