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Un été ordinaire (fin)

- Qu’avez-vous à me regarder comme si j’étais une bête curieuse ?

Tante Odette nous regardait l’un après l’autre.

- Les bêtes curieuses sont en face de moi, trois beaux phénomènes...et pourtant, j’avais des choses sérieuses à vous apprendre.

Je m’attendais au pire, que la taupe grise nous annonce son prochain mariage avec le porc-épic roux, une belle union en perspective, de quoi faire craquer les ossements de feu son Maurice.

- Cela concerne Sylvette et toi aussi Frédéric...Véronique m’avait mis la puce à l’oreille, c’est elle qui m’a informé de la veulerie de ce De Laraucourt, figurez-vous que pendant la guerre, ce froussard a dénoncé des résistants aux boches, il aurait été contraint par la menace, la torture...inadmissible, la vie des autres est plus importante que sa propre vie, c’est un principe chrétien...voilà pourquoi j’ai décidé de ne plus fréquenter ce félon...

- Mais que viennent faire Sylvette et moi dans cette affaire ?

- Vous permettez, c’est simple et compliqué à la fois.

- Pendant l’occupation, vos grand-parents et tes parents  Sylvette s’étaient mis au vert dans les Ardennes, ils ont été pris dans une rafle, par erreur, ils se promenaient dans les bois au moment où les Allemands ont encerclé les résistants, ils ont été emmenés...

- En déportation, je m’en doutais, la date... le peu d’explications...alors l’accident de chemin de fer...

- C’est la vérité, le train qui les emmenait a été heurté à l’arrière par une locomotive, dans une gare d’Alsace où le convoi venait de s’arrêter, le choc a dû être terrible, une trentaine de morts dans le dernier wagon...

Un grand silence venait de s’abattre, je prenais Sylvette dans mes bras...

Ma tante et Marina étaient émues, nous restions plusieurs minutes sans bouger, sans parler.

- Allez les enfants, la vie continue, quand je vous  dit qu’il ne faut pas s’attarder sur des détails, l’argent, les petites douleurs, les grands froids et les fortes chaleurs, tout cela ne sont que des broutilles...

Sylvette me repoussait doucement puis elle quittait la salle en courant.

- Laisse-là Fred, laisse-là pleurer seule.

- Mais ce salopard de comte mérite...

- Mon pauvre garçon, combien de salopards comme tu dis sont encore devant la scène, certains arborent des décorations alors qu’ils ont du sang sur les mains, ton père avait un gros défaut mais je t’assure que pendant la guerre il est resté digne et...

- Quoi ma tante ?

- Rien mon garçon, oublions le passé.

- Je sais ce que n’ose dire ta tante, le comptable, il est juif, me soufflait Marina.

- Juif ? je l’ignorais.

- Il a continué à travailler pendant l’occupation sans être inquiété, ton père a réussi à lui éviter la déportation.

- Vous étiez au courant Marina ? Cela m’étonne que Pierre-Louis se soit vanté de cette affaire.

- Il ne m’a rien dit, mais je me souviens de l’étoile jaune que  portait monsieur Wagner quand il passait devant chez nous,  je me sentais proche de lui, moi aussi je portais une sorte d’étoile jaune, j’étais une sale ‘Polaque’, j’étais responsable de la guerre, moi et les miens, c’est pour défendre mon pays que des Français sont morts et que d’autres ont été emmenés en Allemagne, quand j’allais à l’école, combien d’enfants de prisonniers me le rappelaient.

 

 Mes sentiments envers Marina ne s’étaient pas émoussés probablement parce que ces sentiments avaient dépassé le stade de l’amour physique, par contre, je trouvais moins de charmes à l’Anglaise, elle me paraissait trop masculine et son pudding, malgré qu’il ne soit pas ‘plum’  commençait à me dégoûter. Comme je n’avais plus besoin de prouver visuellement mon attrait pour cet amalgame bicolore ou tricolore, dès son arrivée, j’allais vider le contenu du récipient dans l’enclos des poules, les gallinacés devaient être d’origine Britannique, elles se précipitaient sur cette drôle de pâtée comme la pauvreté sur le monde. Le coq n’était pas le dernier à picorer allègrement et depuis, j’avais l’impression que son chant matinal avait un accent Londonien.  

Epilogue.

L’été se terminait, les vacances aussi, jamais je n’avais vécu autant d’événements dans ma vie  que durant ces dix dernières semaines ; suivant les conseils de mon dernier professeur de Français, j’allais rentrer à la faculté de droit. « Delanaud, si vous vous destinez à direction d’une entreprise, une seule voie possible, faire du droit commercial, dans quelques années, avec toutes les lois qui vont régenter l’économie, avoir de bonnes connaissances dans ce domaine sera primordial ».                                                

Marina passait plusieurs heures par jour au bureau, elle répondait au téléphone, son amabilité satisfaisait les clients et ma tante semblait  supporter sa présence active.  Parlons-en de ma tante, Emilien pouvait affirmer qu’elle rejoignait périodiquement Ronron.

- Une ou deux fois par semaine et nous pouvons remercier ce cher Stanislas  pour son dévouement.

Sans être psychologue professionnel, je pense qu’effectivement la disparition de mon père avait libéré sa petite sœur, elle était prisonnière de conventions rigides qui l’empêchait de vivre sa vie.

Mon père, sans le regretter, ce qu’il avait fait pour monsieur Wagner rétablissait un peu la balance négative, je priais réellement quand nous allions sur son tombeau, je priais en souhaitant  qu’il ne soit pas en enfer mais au purgatoire.

Les frémissements au niveau des ouvriers s’étaient apaisés, quelques petits aménagements d’horaire, la certitude d’une prime de fin d’année avaient calmé les plus virulents. Le changement de comportement de ma tante devait être aussi un motif d’apaisement, Fernand employait plus rarement le vocable qui pendant longtemps était l’unique appellation dans l’entreprise, la taupe grise changeait de catégorie et de couleur...Marina l’avait conduite chez son coiffeur qui lui avait fait une teinture « Me revoici avec mes cheveux de vingt ans » Si Maurice la voit d’en haut, il doit avoir des regrets d’avoir résisté à l’ennemi.

 

Sylvette s’épanouissait dans tous les sens du terme, elle était douée pour le piano et c’était agréable de l’entendre jouer Mozart.

 

 

 



20/06/2011
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