Les yeux de la lune
Je guettais les volets de mademoiselle Lonny, les vacances de Pâques se terminaient l’école devrait reprendre dans deux jours et elle n’était pas revenue de son voyage. Le maire et le secrétaire de mairie, prévenus par Edouard avaient été remettre de l’ordre dans le logement de l’institutrice, le menuisier avait réparé la porte et la serrure. Maman partageait mes soucis.
- Pourvu qu’elle soit en sécurité, imagine, si elle avait été là quand les autres ont forcé sa porte, elle aurait été emmenée en prison.
- Pire encore, tu te souviens de ce que disait Karl, des camps où les gens meurent à petit feu.
- Alors que son seul crime est d’être juive, tu te rends compte où la folie d’Hitler peut entraîner les Allemands, et même des Français, si ton père était encore de ce monde, il...je dis n’importe quoi, j’espère que lorsque ce cauchemar aura cessé, les criminels seront sévèrement punis.
J’entendais à peu près les mêmes réflexions à la ferme, grand-père maudissait les renégats, il était de plus en plus critique envers le maréchal Pétain. Le plus surprenant était Edouard, j’avais deviné que ses visites fréquentes à Maurice le marchand de grains n’avait pas un but commercial, les blés étaient encore en herbe, les engrais chimiques manquaient. Mes offres de l’accompagner au parc quand il allait compter les génisses étaient repoussées, il n’acceptait pas non plus que je le remplace.
- Cette année les bêtes sont folles, la chaleur, les orages, ça fait trois fois que je vais en récupérer dans les bois, tu vois le travail.
- Justement, je pourrais t’aider.
- Cela n’arrivera plus, j’ai renforcé la clôture aux endroits les plus exposés.
Pas de rentrée pour les plus grands élèves de mademoiselle Lonny, les plus jeunes avaient été accueillis à l’école des filles en attendant.
- Vous n’avez pas de nouvelles madame Martin ?
Le maire s’inquiétait et il prévenait l’inspecteur.
- J’ai demandé qu’il nous envoie un remplaçant, ou une remplaçante.
……..
Une première explosion avait fait trembler les vitres, elle était suivie d’une autre encore plus forte, cette fois, mon bol de café au lait restait debout, je n’avais plus la même peur qu’en 40.
- Des bombardements et les tranchées qui sont éboulées.
Les fameuses tranchées n’avaient pas résisté aux inondations hivernales, elles étaient presque entièrement comblées par de la terre et des déchets de toutes sortes.
Grand-père venait nous chercher.
- Montez à la ferme, notre cave voûtée est un bon abri, un train de munitions saute à Mezettes, ça risque de durer longtemps et des obus pourraient atterrir jusqu’ici.
Beaucoup de monde dans la rue Basse, les riverains remontaient vers les quartiers hauts.
- On n’a pas entendu d’avions.
Les voisins s’étonnaient.
Grand-père répétait à chaque fois la même chose.
- Un train de munitions, à Mezettes.
C’est en arrivant à la ferme que maman posait la question que j’avais eu envie de poser.
- Comment savez-vous que c’est un train de munitions ?
Le trouble de grand-père et sa réponse évasive m’intriguaient.
Alors que maman allait rejoindre Simone et Pierre-Louis dans la cave, je rejoignais Edouard à l’étable.
- Vas te planquer avec les femmes.
- C’est toi qui a prévenu les maquisards, pour le train de munitions.
- Tu es de la gestapo maintenant, ce train était hier matin en gare de Brécourt, il attendait une loco supplémentaire pour monter la côte de la carrière, valait mieux qu’il soit dans la nature pour le détruire, un groupe de résistants avait fait sauter la voie juste avant le tunnel, les avions anglais sont venus canarder les wagons, je n’étais pas sur place mais c’est ce qui était prévu et c’est ce qui vient de se passer.
Par curiosité je descendais dans la cave voûtée de la ferme, un endroit infecte, pire que les tranchées. Une odeur piquante m’accueillait, des gouttes d’eau suintaient du plafond, une malheureuse ampoule diffusait une lumière blafarde.
- Reste ici Christophe, reste avec nous.
Les suppliques de maman et de Simone n’ébranlaient pas mon désir de quitter ce lieu, je remontais. Pierre-Louis voulait me suivre, lui aussi désirait sortir de ce trou, je me bouchais les oreilles pour ne pas l’entendre hurler.
Les explosions étaient plus ou moins espacées, parfois très violentes, parfois assourdies, Maurice venait nous renseigner, le chef de gare de Brécourt avait eu des contacts téléphoniques avec son collègue de Mezettes.
- Une catastrophe, la moitié du village est déjà en ruines et le reste risque d’y passer aussi...heureusement, paraît qu’il n’y a aucune victime civile, les gens ont eu le temps de se mettre à l’abri.
Nous apprenions que le convoi avait été stoppé un kilomètre avant le tunnel, alors que la queue était encore dans le village.
- On ne fait d’omelette sans casser d’œufs...ça te rappelle quelque chose Christophe.
- C’est le groupe de Michel qui a...
- Fait sauter la ligne ? naturellement.
Mon admiration pour ces braves montait encore d’un cran, j’aurais tant voulu être avec eux.
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