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Le grand verger (suite)

- Albert était aussi un maquisard.

- Dans un sens oui, il prenait de gros risques, sa maison a servi d’abri en hiver,  de plaque tournante pour le ravitaillement, quant à la brave Maria, elle aussi a rempli un certain rôle, le repos du guerrier, tu as entendu parler du repos du guerrier, très important pour remonter le moral des troupes.

 

Je suis sidéré, je viens de découvrir une page de l’histoire locale, importante à mes yeux et pourtant restée secrète depuis tant d’années. Je suis heureux d’avoir sauvé la vie d’un petit bonhomme courageux, et les habitants du village devraient se voiler la face, eux qui n’ont jamais eu le courage d’aller au devant de lui, de le laisser reprendre sa place dans la communauté, qui le fuyaient comme la peste…ou la lèpre. Tante Alice doit lire dans mes pensées.

- C’est lui qui a refusé de revenir à Pochères après la guerre, les autres n’auraient rien dit, ils l’auraient accepté, mais  Albert estimait qu’il n’avait plus sa place au milieu d’une bande de froussards, il a simplement renoué  quelques contacts avec des amis surs.

Je reviens sur l’incroyable succès que connaissait  le petit bonhomme auprès des femmes de Labréville.

- Cela te chiffonne, tu es bien un homme, tu crois que l’aspect physique est capital pour nous séduire ? Albert avait un regard fascinant, la parole facile, il était prévenant, galant, des relents exotiques, mystérieux aussi et puis les rivalités féminines, la curiosité, il avait la réputation d’être un amant exceptionnel. Maria est heureuse avec lui, espérons qu’il reprendra vite sa place dans la clairière.

- Et ses chèvres ?

- Tu t’inquiètes pour ta biquette préférée, j’ai pensé à Nénette.

- Nénette, elle sait traire les chèvres ?

- Elle serait capable de traire les boucs, je vais descendre chez elle, lui demander ce service, tu pourras la véhiculer ?

- Ce soir ?

- Non, demain matin, tu sais que ses soirées sont souvent prises.

Prises, c’est peu dire, cette veuve de guerre d’une quarantaine d’année a une réputation qu’elle revendique, elle reçoit des hommes moyennant finance ou cadeaux. Après l’occupation, c’est chez elle que les fumeurs allaient s’approvisionner en américaines ; pourtant, à la libération, elle avait vu les ciseaux et la tondeuse approcher sa belle chevelure rousse, elle l’avait sauvée de justesse en signant des reconnaissances de dettes à ses bourreaux qui, pendant plusieurs mois avaient des tickets gratuits pour entrer dans sa chambre, cette anecdote est encore racontée dans les chaumières. J’avais déjà eu la tentation de frapper à la porte de la sémillante Nénette, quelques garçons du village m’avaient mis en appétit me racontant leur passage dans un lit confortable et agréable, me décrivant un corps voluptueux, mes belles résolutions s’envolaient rien qu’en abordant sa rue.

- Et  que vont penser les gens du village en la voyant sur ma moto ?

- Tu passes par le chemin de la prairie, tu fais un crochet par la rue du Moulin et tu rattrapes la nationale derrière l’ancienne gare en passant par la ruelle, ainsi tu échappes aux regards indiscrets.

J’éprouve beaucoup de difficultés à m’endormir, cette fois ce sont des images agréables qui hantent mon esprit, c’est confirmé, demain je conduis Nénette chez Maria, tante Alice a reçu l’accord de la dame rousse.

- Et  inutile de faire le joli cœur avec elle, cette femme est une vénale, elle ne marche jamais au sentiment.

J’échafaude un plan, je vais ponctionner ma cagnotte réservée aux menus achats de la prochaine rentrée, cette fois c’est sérieux, je vais rejoindre l’université de Nancy, à la section beaux-arts afin de préparer une école d’architecture. Grand-père est heureux de cette orientation, lui aussi avait choisi cette voie, seulement, au bout d’un an d’études, il avait dû revenir au château pour diriger la ferme, son père ayant été victime d’un accident mortel, tombé de sa carriole dans des circonstances que j’avais décryptées, il revenait d’une soirée bien arrosée.

- J’ai conservé le matériel, tu pourras faire revivre ces objets…. Architecte, c’est un beau métier, où l’imagination peut s’exprimer, les périodes d’après-guerre sont propices aux nouveautés.

 

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01/11/2010
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