Les yeux de la lune
Une jeune institutrice remplaçait mademoiselle Lonny dont nous étions sans nouvelle, elle logeait chez madame Langlois. Petite, boulotte, d’affreuses lunettes rondes aux verres épais et des cheveux coupés courts, elle n’avait rien pour me plaire. Pourtant, l’ayant rencontrée plusieurs fois à la ferme alors qu’elle venait chercher du lait, je trouvais finalement un certain charme à ses rondeurs. Et puis j’avais des circonstances atténuantes, depuis quelques semaines, j’étais privé de maîtresses. Jacqueline ayant appris mes incursions dans la chambre de Marinette ne voulait plus me voir, je crois surtout qu’elle avait trouvé un autre amant, des bruits couraient dans le village, laissant supposer qu’elle couchait avec un jeune soldat allemand. Marinette avait rendu son tablier, elle avait trouvé une autre place.
- Au café de la Poste à Lermont, si le cœur t’en dit.
Je n’avais plus de vélo, faire vingt bornes à pieds aller et retour pour une petite heure de plaisir, ce n’était pas raisonnable.
Quant à Thérèse, elle était partie dans le midi, rejoindre sa fille.
- Je reviendrai quand les boches seront chassés d’ici, avec la ligne de chemin de fer, il y a trop de risques.
- Samuel...il est obligé de porter une étoile jaune, je l’ai vu passer à vélo, ça fait drôle.
Pour aller et revenir de la scierie, Samuel passait par la rue basse, cela faisait un petit détour mais il évitait la côte de la rue haute. Avec lui, en semaine, pas besoin de jeter un oeil sur l’horloge de l’église, quatre fois par jour il passait toujours aux mêmes heures.
Je guettais son retour et j’avais confirmation, une étoile jaune était cousue sur sa veste de velours.
La nouvelle avait fait le tour du village, certains affirmaient que c’était le maire qui avait imposé cette humiliation, d’autres que les gendarmes l’avaient prévenu qu’en cas de refus il était immédiatement arrêté. Pour savoir la vérité, j’allais chez tante Félicie.
- Ce n’est pas la peine d’en faire une affaire, les gendarmes ont dit que c’était juste pour un contrôle.
Yvette avait les yeux rouges, elle serrait les lèvres, ce n’est pas aujourd’hui que je verrai ses grandes dents.
Cet événement allait avoir des prolongements inattendus, le dimanche suivant, dans son sermon, le curé prenait fait et cause pour Samuel.
- Jésus était juif, nous sommes ses enfants nous sommes donc juifs, nous devons nous aussi porter l’étoile de David.
A la sortie, les commentaires allaient bon train, certains osaient dire que les juifs ne méritaient pas tant de compassion car ce sont eux qui avaient trahi Jésus.
- Qu’on punisse les judas, mais pas leurs descendants de je ne sais combien de générations, alors nous aussi nous sommes des criminels, hurlait Alfred Gardot le forgeron... le curé a raison, demain je porterai une étoile jaune.
Tenant parole, le forgeron avait fixé un morceau d’étoffe jaune sur son tablier de cuir. Cette initiative avait tache d’huile, plusieurs personnes étaient sorties dans le village en arborant un signe distinctif. Même la boulangère avait collé sur sa blouse, un morceau de papier jaune en forme de croissant de lune. Pour ne pas être en reste, j’avais dessiné une pleine lune avec des yeux pleurant des larmes et l’avait fixée sur mon pull avec une épingle à nourrice.
Yvette et Samuel avaient été touchés par cet élan de solidarité mais Samuel avait fait savoir qu’il ne voulait pas que cela se reproduise.
- Ne vous en faites pas pour moi, monsieur Vernet me protège.
Le scieur avait une certaine influence, il fournissait le bois de chauffage gratuitement aux allemands et à leurs prisonniers.
- C’est vingt cinq stères par mois durant la mauvaise saison.
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