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Les yeux de la lune

Je trouvais grand-père Emilien en moins bonne forme que d’habitude, physiquement et moralement, c’est monsieur Varlet, un voisin qui venait s’occuper de  ses vieux chevaux.

- Bijou n’ira plus loin, Bayard a encore deux ou trois ans à vivre, pas plus, ça fera quelque chose à Emilien quand ils mourront.

J’allais seul au bord du ruisseau et je ne trouvais plus cette promenade aussi passionnante qu’avant, les histoires de grand-père me manquaient.

Le temps s’écoulait lentement, malgré les attentions particulières de grand-mère, inventant des desserts pour me faire plaisir, je commençais à m’ennuyer. Les jeunes de mon âge étaient rares à Ligneulles, et puis ils étaient occupés dans les champs.

Grand-père acceptait tout de même de m’accompagner à la fontaine, je l’aidais à descendre les marches de pierre usées.

- C’étaient surtout les sabots en bois qui provoquaient cette usure, n’oublie pas qu’elles existent depuis plus de trois cents ans.

Un mince filet d’eau sortait d’un tuyau en plomb et tombait dans un bassin, le trop-plein débordait, formait une cascade transparente et rejoignait le ruisseau. L’eau claire roulait sur les galets et disparaissait dans les fourrés épais.  

- Dis-moi Christophe, quels sont vos rapports avec cet Allemand qui vit dans votre maison ?

Cette question me troublait, j’étais persuadé qu’il aurait voulu la formuler différemment.

- Tu veux savoir quel est le comportement de maman envers cet étranger ?

- J’ai confiance en ta maman, mais...nous avons reçu une lettre en provenance de Brécourt .

- Anonyme je suppose, des calomnies grand-père, je t’assure.

- Ce soir, quand ta grand-mère sera couchée vient me rejoindre à la cuisine je te  montrerai ce torchon, tu reconnaîtras peut-être l’écriture.

 

La chambre de mes grands-parents était immense, c’était une ancienne salle de café. Quatre lits et deux armoires monumentales la meublaient. Mon lit était d’une telle hauteur que petit, je n’arrivais pas à l’escalader seul, il était surmonté d’un édredon rouge bien utile les jours d’orage.

- Sous la plume tu ne risques rien, c’est un bon isolant.

 Ce lit  était placé contre une cloison vitrée donnant sur une pièce éclairée par une petite fenêtre. Le soir, avant de m’endormir, il me semblait voir des ombres rôder de l’autre côté, particulièrement les jours de pleine lune, cette illusion provoquait des cauchemars qui parfois me faisaient hurler.

 

Les ronflements de grand-mère m’autorisaient à me lever et à rejoindre grand-père dans la grande pièce commune.

- Alors qu’en penses-tu ?

Des phrases immondes dansaient devant mes yeux.

- Des racontars, maman ne monte chez l’Allemand que pour faire le ménage et uniquement quand il est parti.

Je tentais de chasser de mon esprit quelques mauvaises pensées, il est vrai que je n’étais pas toujours à la maison, que souvent après déjeuner, Kurt revenait dans son appartement... pour travailler disait maman.

L’écriture m’était inconnue, le corbeau avait écrit en lettres capitales, le papier était grisâtre, sans lignage.

- Dire qu’il y a des gens pour qui la méchanceté est une seconde nature, dans cette période, c’est bien triste...Il me semblait déceler une larme au coin de l’oeil de mon cher grand-père.

 

- N’oublie pas d’aller dire au revoir à la vieille grand-mère.

Cette démarche était une corvée, je savais déjà ce qu’elle allait m’offrir avant mon départ.

- Si tu veux des noix, mon garçon, elles sont au grenier, tu peux remplir tes poches.

Quel cadeau ! des vieilles noix aussi sèches qu’elle, huileuses et immangeables ; j’emplissais mes poches et, à peine dehors, j’en vidais le contenu dans les orties.



09/03/2013
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