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Boisaumont est le verger de la région, la situation climatique de cet écart, bien  protégé  des vents dominants et exposé sud-est permettait et doit permettre encore des récoltes abondantes de fruits de toutes sortes; fin juin, début juillet, toute une bande de galopins dont je faisais partie, montait une expédition vers les coteaux, les premiers cerisiers étaient pillés avant que les habitants ne lâchent les chiens ou ne tirent des coups de fusil en l'air; un peu plus tard, ce sont les mirabelliers qui supportaient nos assauts, bien avant les pommiers et les poiriers.

Quelques gouttes tombent encore des arbres, un magnifique arc-en-ciel se dessine à l’horizon.  Je presse le pas car la température a légèrement fraîchi. Je vais contourner le village en suivant la ligne de chemin de fer, sur ce sentier qui m’était interdit quand les lourds convois de marchandises circulaient, passer par le centre risquerait d'occasionner des rencontres non souhaitées et je ne suis plus présentable.

Depuis mon arrivée, j'ai constaté avec surprise que de nombreux habitants se souviennent encore de ma famille; grand-père, décédé depuis une vingtaine d’années  était le dernier représentant des Demoulin à résider au village, il avait même été  élu maire à la libération avant de céder rapidement sa place; sa franchise et ses prises de position trop tranchantes devaient déplaire à quelques administrés. Ma première visite avait été pour sa tombe, j’étais certain qu'elle était envahie d'herbes folles et difficilement identifiable et j'avais eu l'agréable surprise de  découvrir qu’au contraire, elle est parfaitement entretenue; c'est surtout la présence  d'un vase supportant des fleurs champêtres qui m'avait intrigué et touché; ces fleurs ne dataient que de quelques jours et je me demandais quelle main attentionnée les avaient déposées à cet endroit, probablement la même qui vient  nettoyer les abords et frotter la pierre tombale; il faudrait que je surveille discrètement ou que je pose des questions, j'aimerais connaître cette personne et surtout ses motivations.

Un autre sujet d'étonnement avait été la rencontre avec une brave dame m'affirmant qu'elle m'avait gardé quand j'étais bébé; madame Verlier avait une mémoire assez sélective, se souvenant surtout de détails anodins.

- J'étais une amie de ta maman, nous avions sensiblement le même âge, j'avais un petit salon de coiffure sur la place de la mairie, quand Jacqueline allait en ville, elle te confiait souvent à moi, je mettais ton landau dans un coin du salon, tu étais sage, ne pleurant que pour réclamer le biberon, et encore; un peu plus grand, quand tu as commencé à marcher, tu es devenu plus turbulent, il fallait te surveiller continuellement, tu étais même coquin, te glissant sous les jupes de mes clientes; tu chantais et dansais les rengaines à la mode, tu étais mignon, amusant... dire que tu es grand-père à présent, vois-tu, je suis réellement une très vieille dame.

 J'avais promis à madame Verlier de lui rendre visite au moins une fois avant mon départ, dès demain,  je vais lui demander des tuyaux concernant la mystérieuse cycliste de Boisaumont.