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Le moulin des ombres

- Encore la jouvencelle aux longs cheveux bruns pour toi, tu es sur qu'elle est majeure ? Descend vite, elle piaffe d'impatience, elle voulait monter te rejoindre, pressée à cet âge, incroyable.

 

Cette fois, Mélodie tourne le dos à la fresque, elle guette le palier.

- Je viens sans prévenir, excusez-moi, j'ai un peu de temps libre, vous pouvez me présenter vos bureaux?

- Suivez-moi.

- J'ai raté le train de treize heures vingt, pour une fois il était à l'heure.

- Vous êtes installée dans notre ville?

- Pas encore, je rentre en octobre seulement, j'ai loué un studio dans le quartier de Cauville, c'est à deux pas de la fac.

Mademoiselle Lemoine a les moyens, ce quartier résidentiel affiche des loyers largement hors de portée des boursiers.

- Vous allez attendre le train de dix-sept heures vingt?

- Que faire autrement?

- Je vous reconduis à Lannois.

- Vous feriez cela ? C'est gentil, je pourrais téléphoner pour avertir maman?

La conversation est brève.

-  Vous me promenez dans votre grande maison avant de partir?

Mélodie est déçue,  les fictions à la télé ou au ciné montrent des salles de rédaction en effervescence, des journalistes qui courent dans tous les azimuts des dépêches à la main, des téléscripteurs qui crépitent continuellement.

- C'est calme.

- Actuellement tout se fait par l'intermédiaire des ordinateurs, les maquettes nous parviennent des différentes agences, les pages locales de chaque édition sont programmées, les photos sont réceptionnées, les informations régionales et nationales sont triées et mises en page, les petites annonces sont prêtes, restent la une, les courses et les pages sportives à compléter, tout se fait dans le calme et la sérénité...sauf événement important de dernière minute qui pourrait tout bouleverser.

- Vous allez à Lannois uniquement pour me reconduire?

- Je devais y aller, vous m'en donnez l'occasion.

 

La partie autoroutière est peu propice aux conversations, la circulation est dense et il faut être sur ses gardes. Dès la bretelle de sortie, j'écoute Mélodie me parler de ses projets d'avenir, elle a envie de donner des coups de pieds dans certaines fourmilières. J'étais comme elle à son âge et puis au fil des années, mon ardeur s'est un peu émoussée et je me suis rendu compte qu'il était bien difficile de déplacer certains monuments. De nombreux  sclérosés détiennent des postes-clés, des clans se barricadent dans des citadelles inexpugnables, des lobbies sont aux commandes.

La vue d'une casquette sur la plage arrière d'un véhicule que je viens de dépasser me rappelle la promesse de Mélodie.

- Vous voulez connaître la provenance des casquettes? c'est Norbert qui un jour nous a rapporté un carton complètement trempé, il était heureux de sa trouvaille; à l'intérieur une housse en plastique hermétiquement fermée contenant une vingtaine de casquette blanches, vertes et bleues.

- D'où provenait ce carton?

- Mon frère l'avait trouvé dans une ballastière, c'était au mois de mars, le carton flottait entre deux eaux nous a t-il raconté et, comme il nage comme un dauphin, il l'a remonté à la surface.

- Près de la ferme cette ballastière ?

- Entre Lannois et Sevry, cinq kilomètres environs du Haut-Château.

- Votre frère fait de telles promenades?

- Il fréquente tous les étangs du secteur, c'est un sacré randonneur.

- Et il court vite, je l'ai aperçu.

Mélodie se tourne vers moi.

- Il fait peur à ceux qui le ne connaisse pas, mais c'est un garçon adorable...vous pouvez stopper, j'aimerais voir l'endroit de ma chute.

Je me gare tant bien que mal et nous montons sur le talus.

- J'étais bien dans vos bras, quand vous m'avez soulevée...J'ai perdu une gourmette en or, je n'ai pas osé le dire à maman, c'est elle qui me l'avait offerte.

- Vous croyez qu'un bijou perdu dans ces broussailles peut se retrouver.

- J'ai prié Saint Antoine, vous pouvez chercher avec moi?

Autant chercher une aiguille dans un tas de foin, nous renonçons et reprenons la route.

 

- Je dois passer par le chemin, pour éviter votre oncle?

- Non, prenez par la rue, je m'en fiche après tout.

- Ce Louis Girard vous fait peur?

- Il est malade, s'il me voit dans la voiture d'un étranger, il est capable de monter à la ferme, de faire un scandale, quand maman était jeune fille il était pareil, il tirait même des coups de fusil sur les prétendants, un dingue.

La ferme Girard occupe une grande partie d'une rue parallèle à la rue principale, de grands murs d'agglos longent le trottoir.

- Un  château-fort.

- Vous êtes dans le vrai, les gens d'ici l'appelle la ferme du Bas-Château, je vous dis, mon oncle est un cinglé,  c'est lui qui a construit ce mur affreux, la maçonnerie c'est son violon d'Ingres.

J'espère voir Annie Lemoine plus longuement que la dernière fois. Nous entrons dans la cour, deux hommes viennent de sortir d'un hangar.

- Mes frères.

Arnaud nous fait face, Norbert se retourne furtivement et nous aperçoit, il s'engouffre aussitôt dans le bâtiment.

- Il doit se cacher quand des étrangers nous rendent visite...c'est la consigne.

- Arnaud est marié?

- Si peu, madame travaille, à Nantilly dans un cabinet d'analyses médicales, elle a son appart sur place, ne vient à la ferme que pendant une partie des congés, Arnaud la rejoint les fins de semaine, et encore, pas quand les travaux agricoles sont urgents.

- Des enfants?

- Vous rigolez, c'est chiants et encombrants les marmots, il faut s'en occuper constamment, et les soirées, plus de sorties.

- C'est votre avis?

- J'en veux au moins deux.

Moi aussi j'en voudrais deux mais pour le moment c'est mal parti, Martine voulait attendre que sa boutique marche bien, elle marche bien et maintenant elle a de l'occupation.

Arnaud vient viens nous.

- Merci monsieur Passy mais il ne fallait pas, mademoiselle pouvait patienter jusqu'au soir...les parents sont à Saint-Julien...Jamais deux sans trois, méfiez-vous la route est dangereuse...elle s'en est bien tirée, elle craignait que son auriculaire ne soit cassé...alors l'enquête sur la mort de Fabien?

- L'étau se resserre.

- Je parlais du petit doigt  de Mélodie, cela me rappelle une bagarre mémorable que j'avais eu avec Fabien, il avait chuté et avait eu deux phalanges cassées, une à l'index, l'autre au majeur, la main gauche, quelle comédie, il était douillet !

- Des fractures, vous êtes certain.

- Oui, nous avions dans les neuf dix ans.

Voilà une information qui pourrait intéresser Verlet, mais de telles fractures sont-elles encore décelables après tant d'années?

- Bon, à la prochaine monsieur Passy et encore merci pour tout.

Mélodie me laisse en plan et entre dans le logement... merci pour tout!

Je n'ai plus rien à faire chez les Lemoine, je prends congé.

 

Mon second passage devant les fortifications Girard me ramène par la pensée au bord de la Livette, devant le bloc de ciment éclaté; l'image du petit crâne danse devant mes yeux, petit être innocent qui, à peine au monde retourne dans l'au-delà...ou dans le néant. Peut-être était-il mort-né? Le ciment? souvent utilisé par Girard, combien de criminels se sont fait prendre à cause d'une habitude, d'une manie, l'homme commettant une faute grave utilise souvent son domaine de prédilection comme vecteur.

 



31/03/2011
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