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Les yeux de la lune

C'était ma dernière année à l'école primaire, celle du certificat, à la rentrée prochaine, j'allais rejoindre une pension privée, celle où papa avait étudié. Cette perspective ne me plaisait guère, j'aimais les études mais, à la pensée d'être enfermé, de coucher dans une chambre commune, de manger à la cantine, j'avais un noeud sur l'estomac. Pour monsieur Decroix, l'instituteur, c'était aussi sa dernière année à l'école. Homme rigoureux et patient, il se disait fatigué d'enseigner.

- C'est de plus en plus difficile, et maintenant avec l'absence des pères, les gamins se croient tout permis.

Lors de sa promenade quotidienne et quand grand-père était assis sur son banc de bois, le maître s'arrêtait devant notre maison et bavardait.

 

Depuis notre retour, à part le passage de nombreux trains transportant du matériel militaire, Brécourt ne ressentait pas vraiment l'occupation, dans les fermes, l'absence des hommes  posait des problèmes et, même si les femmes et les jeunes avaient pris le relais, si les vieux avaient repris du service, certains champs étaient à l'abandon.

 

Le mariage de Simone et d'Edouard avait  été célébré avec discrétion, aussitôt, ma tante et grand-père quittaient la maison et nous descendions d'un étage. Cette nouvelle situation ne me plaisait guère, les soirées étaient tristes, les éclats de rire de ma tante manquaient, les histoires de grand-père aussi. Edouard se révélait comme étant peu courageux, Pierrot faisait le plus gros du travail, grand-père s'occupait des cochons et de la volaille, il aidait également Simone à traire les vaches.

 

Malgré la guerre, mon anniversaire était fêté, maman avait confectionné un beau gâteau au chocolat, Simone avait apporté une bouteille de Champagne, Edouard avait trouvé quatorze bougies. Le cadeau de grand-père était inattendu.

- C'est un couteau suisse, tu vois la croix, je l'avais offert à ton père le jour de ses quatorze ans croyant lui faire plaisir, il ne l'a jamais ouvert et je l'ai retrouvé plus tard au fond d'un tiroir.

Pour compenser, il fallait que je montre ma joie de recevoir un tel objet, j'ouvrais chaque lame et m'extasiais.

- Même un tire-bouchon, et un décapsuleur.

Je ne voyais pas à quelles occasions ces deux outils me serviraient, j'appréciais peu le vin et j'avais horreur de la bière.

 

Pâques approchait, et, avec cette fête, l'espoir de revoir Lily, en effet, Jacqueline au courant de ce qui se passait chez les Lenoir m'avait informé que la Parisienne allait probablement venir.

- Je te conseille d'aller la cueillir à la gare avant que d'autres gars mettent le grappin dessus, tu penses une telle dévergondée, les garçons sont tous des dégoûtants.

- Pourquoi, certains ont essayé avec toi ?

C'était bien la première fois que j'osais aborder un tel sujet avec une fille, entre copains, depuis plusieurs années, nous parlions des rapports qui existent entre les hommes et les femmes. Vivant à la campagne, nous avions des exemples parmi les animaux et j'avais assisté plusieurs fois à l'accouplement d'un taureau et d'une vache, mais aussi à celle d'un étalon et d'une jument ce qui était encore plus démonstratif. D'ailleurs c'est en découvrant ce spectacle que j'avais compris le processus de  reproduction chez les mammifères, les paroles entendues ça et là, les explications des grands avaient complété mon savoir dans ce domaine mystérieux.

 

- Toi tu es amoureux ?

Edouard me charriait, il avait remarqué mon manège durant la messe de Pâques. Alors que Lily était dans la travée opposée à la nôtre, je n'avais cessé de regarder dans sa direction. Elle était ravissante, habillée d'un manteau clair plus court que la normale, sa chevelure blonde tombait en cascade sur un col de fourrure, j'avais eu l'impression qu'elle aussi jetait des regards dans ma direction.

- Remarque tu as bon goût, elle est chouette la petite.

Je sentais qu'Edouard voulait m'en dire plus, je le questionnais.

- Ne donne pas l'impression que tu en pinces pour une fille, autrement elle va te faire tirer la langue, au contraire, tu joues les indifférents...pas trop tout de même, il faut savoir doser, c'est une question d'habitude.

- Tu as a agis comme cela avec Simone.

- Avec Simone ! oh non, les circonstances ne se prêtaient à aucun jeu, nous étions tous les deux sur la route, je menais les chevaux, devant moi, ta tante  était assise à l'arrière de son chariot. Au premier arrêt je  la réceptionnais dans mes bras et voilà, maintenant nous sommes mariés.

 

J'espérais que Lily viendrait aux vêpres, j'y avais pensé fortement et elle était présente. Elle était seule, un avantage dont je voulais profiter, à la fin de l'office, alors que je l'attendais au pied de l'escalier avec la ferme intention de l'aborder, elle glissait sur la dernière marche et atterrissait dans mes bras. Un miracle, le même scénario que Simone et Edouard avaient connu.

Elle ne se dégageait pas tout de suite,  était rouge de confusion et je devais avoir la même couleur.

- Merci, sans toi...

Je l'entraînais vers la ruelle bordée de haies vives, ce raccourci réservé aux amoureux. - Un raccourci qui rallonge - disaient les gens de Brécourt. Pour la première fois, je dépassais le stade du baiser avec une fille, je parvenais à toucher un sein, l'englobant dans ma main. Puis je faisais rouler le téton entre mes doigts et je sentais monter une émotion incontrôlable, j'éprouvais une sensation proche du vertige, ma main quittait le corsage et tentait d'explorer un autre endroit.

- Non pas ça, pas maintenant, je reviendrai aux grandes vacances, pour trois semaines, nous aurons le temps de faire plus ample connaissance.

Lily me repoussait doucement et remontait la ruelle.

- Je pars demain matin... je reviendrai en juillet, si tout va bien.

Dans un premier mouvement, j'avais eu envie de courir vers elle puis je me souvenais des paroles d'Edouard.

 



21/02/2013
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