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Le moulin des ombres

Deux quidams bruyants viennent d’entrer dans l’estaminet, deux anciens, l’un est édenté, l’autre a une casquette vissée sur la tête, il doit coucher avec.

- Tiens un journaliste de la ville, dès qu’il y a un cadavre quelque part, ces vautours arrivent, alors c’est probablement un crime, vous êtes déjà au courant? Vous vous souvenez pas de moi, je vous avait donné des renseignements sur Maurice, le pauvre diable grillé comme un cochon dans la grange, l’année dernière.

- Un bel hangar à la place.

Le deuxième paysan ouvre la bouche.

- Ah il est beau en effet, une verrue au milieu du village, ils sont fous les jeunes, ils ne savent pas conserver le patrimoine de leurs ancêtres, le modernisme va gâcher les beaux paysages de not’ France.

Un écolo à l’ancienne, j’en rencontre souvent et je dois dire qu’ils ont raison de rouspéter, certaines constructions n’ont pas leur place dans les sites champêtres.

- Alors, vous me remettez à présent?

Pour faire plaisir à l’ancien, j’avoue que oui.

- Je vous avais donné quelques conseils pour écrire votre papier, vous les aviez suivis, vous savez que je lis votre canard tous les matins en prenant mon petit déjeuner.

J’allais me rengorger, le lecteur continuait.

- C’est le meilleur moyen pour me couper l’appétit, le toubib voulait m’imposer un régime, à cause du mauvais cholestérol, quand le lis tous les malheurs, les magouilles, les détournements et compagnie, je range la miche de pain et le beurre dans le buffet...vous avez le courage de parler de la mort d’Armand Mangoni? Méfiez-vous jeune homme c’est un sujet tabou ici et Mimi le sait, hein Mimi?

- Je parle de ce que j’ai envie de parler et avec qui je veux... je vous sers un canon?

- Que veux-tu nous servir d’autre, sûrement pas un médicament comme pour ce monsieur.

Les hommes basculent des chaises et s’installent, la sémillante Mimi leur apporte des verres et la bouteille de gros rouge.

- Si vous voulez de la matière pour vos pages spécialisées, allez donc voir les Delvaux, des drôles de citoyens, bourrés de frics et de vices et foutez la paix aux péquenots que nous sommes, hein Pierrot.

Mimi fait un geste désabusé et retourne derrière son comptoir, elle se tient à bonne distance de moi, l’impression qu’elle n’a aucune envie de me parler devant témoins, je prends congé.

- Et bien le bonjour à Charles-Henri Magien, votre cher patron, alors lui on le voit souvent en photo dans son journal,  il est bien placé pour se faire mousser et vos photographes marchent dans la combine, des fayots.

 

Avant de quitter le canton, je fais un crochet par  la gendarmerie de Saint-Julien.

- Votre article sur les ronds-points, traité avec humour, bonne idée, les usagers n’aiment pas trop les doctes recommandations, le message devrait passer plus facilement...concernant l’inconnu, rien de valable de notre côté, quelques cinglés comme d’habitude, certains de vos lecteurs ne regardent que les images et oublie le texte en annexe, une brave dame croyait reconnaître son fils alors qu’il aurait plus de cinquante ans, une autre était certaine que c’était son mari disparu alors qu’il ne faisait qu’un mètre soixante, toutes sortes de délires de ce genre, et vous?

- Moi? rien.

- Vous en êtes sûr?

Je veux taire mon rendez-vous  mais l’adjudant insiste lourdement; cette insistance m’inquiète, ce militaire lit dans mes pensées ou bien son service a de grandes oreilles,  à la pensé d’une telle éventualité, je frissonne.

- Le petit cadavre?

- Enquête délicate qu’il faut mener sur la pointe de pieds, merci de votre discrétion, le capitaine a raison, inutile de claironner ce fait pour le moment, nous recevons trop de témoignages abominables. Les ossements ont été envoyés au laboratoire afin de déterminer l’année exacte du décès, une première analyse nous laisse supposer que l’enfant est mort à sa naissance, accident ou? Le ciment qui lestait le petit corps est également dans un laboratoire, c’est peut-être lui qui parlera le plus vite.

-Les deux meurtres et l’infanticide pourraient être liés ?

-Possible, la clé réside dans l’identification de la deuxième victime, je ne crois pas trop à la coïncidence des meules et des cordes, un seul assassin, mais aidé d’un ou plusieurs complices, en particulier pour le transport et l’immersion dans le bief.

- Armand Mangoni avait du succès auprès des dames de la région, je viens d’apprendre ce fait.

- Votre quotidien se reconverti dans les affaires de mœurs à présent ? J’en ai entendu parler, tant d’années après, les souvenirs sont encore vivaces chez les ruraux,  il paraît même qu’il avait une maîtresse à proximité de son atelier, sa voisine, l’épouse du maire actuel...vous n’avez jamais rencontré cette chère madame Lemoine?

- Je n’ai pas eu ce plaisir.

- Méfiez-vous, elle serait capable de vous entortiller, une femme gironde, quinquagénaire mais dynamique, une sorte de virago des campagnes, à l’opposé de sa belle-sœur, l’épouse de Louis Girard, une femme très discrète...mais qui donc vous a narré les frasques du menuisier?

Je parlais de Mimi rencontrée au troquet.

- La fameuse Mimi est à Lannois ? je vais aller lui rendre une petite visite, un phénomène cette Mimi, ancienne danseuse aux Folies-Bergères raconte t’elle à tout le monde, je crois plutôt qu’elle était effeuilleuse dans une boîte minable du côté de Pigalle, ensuite elle a soi-disant dirigé une école de danse à Lyon, j’aurais aimé voir ses élèves, certainement pas des petits rats de l’opéra, maintenant elle a repris un bar à Nantilly, un bouge de mauvaise réputation. En tous cas, son passé pourrait nous apporter quelques renseignements utiles, c’était également une proche du menuisier, je vais la convoquer et lui poser quelques petites questions.

Gobert a les yeux pétillants, l’évocation de Mimi, probablement.

 

 



11/03/2011
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