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Le grand verger (suite)

Les jours suivant l'inhumation de mon aïeul sont calmes, la privation de ma moto m'importe peu finalement car il pleut souvent. Je pense à ce grand-père disparu. Je ressens une sorte de vide, plusieurs fois je suis revenu au pied de ce maudit escalier sans oser franchir la marche fatale que je vois maculée de rouge alors qu'en réalité aucune trace de sang ne l'avait tâchée. J'ai l'impression d'entendre des bruits familiers au troisième niveau de la tour, comme avant, quand je montais pour  demander un avis sur une chose ou une sur autre. Grand-père m'écoutait toujours, posait son livre ou son stylo avant de balayer mes craintes.

- Ne te pose pas trop de questions sinon tu n'avanceras jamais, suis le chemin que tu crois le meilleur, même si plus tard tu t'aperçois que tu as fait fausse route, il y a toujours moyen d'en prendre une autre pour retrouver la lumière et la vérité.

J'aimais ses paraboles, bien souvent je ne comprenais pas tout de suite le sens, il me fallait réfléchir, c'est peut-être ce qu'il voulait. Curieusement, je hante les endroits qu'il avait coutume de visiter régulièrement; la chapelle, depuis longtemps désaffectée, je crois bien qu'à présent je suis le seul à savoir où est cachée la clé, que venait-il faire dans ce fouillis qui abrite des saints affreux et des paniers d'osier qu'un aïeul fabriquait pour passer le temps.  Les chaises sont complètement vermoulues, il suffit de les bousculer un peu pour qu'elles tombent en poussière. Je passe par le grand verger où les rares prunes sont tombées, mangées à demi par les guêpes et les fourmis, je redescends à la cave les deux tonneaux qui ne serviront plus jamais, seul grand-père avait la patience d'enfiler les fruits par la bonde, de surveiller la fermentation et puis la réserve de 'goutte' devrait tenir plusieurs générations, la mienne c'est certain, la seule fois où j'ai tenté d'ingurgiter ce liquide, j'ai eu des brûlures d'estomac durant une semaine. J'ose pénétrer  dans ces catacombes à peine éclairées, dans ce dédale de couloirs aux pavés glissants, aux murs couverts de salpêtre, des boyaux infectes qui mènent à de nombreuses pièces aux portes condamnées par la rouille, je retrouve l'endroit qui nous servait d'abri pendant la guerre, une cave voûtée encore pire que les autres, les bancs de bois sont toujours à la même place, les planches sont gonflées d'humidité, je reste peu de temps, une odeur de moisissure me chasse de ce trou. Je vais faire un tour à l'atelier situé dans l'ancienne bergerie, lorsque grand-père bricolait, je venais lui rendre visite, il aimait travailler le bois, fabriquait de petits objets qu'il vernissait minutieusement et offrait autour de lui, Vincent est également bricoleur, j'espère qu'il fera revivre ce lieu peuplé de bons souvenirs.

Je jetais un coup d'œil dans une grange, les gerbes de blé empilées montent jusqu'à la toiture, j'ai entendu dire que la moisson était excellente cette année, rentrée dans de bonnes conditions, juste avant la période pluvieuse. Toute cette récolte entassée me fait craindre l'incendie, il y a une dizaine d'années, nous avions été victime d'un tel accident, heureusement le feu ne s'était pas propagé aux autres bâtiments, il avait été circonscrit à temps, mais j'ai encore la vision apocalyptique des flammes immenses éclairant la nuit, des étincelles qui jaillissaient du brasier, j'entends encore les crépitements secs,  le souffle puissant et chaud du feu dévoreur. Je passe devant les clapiers, évite la soue des cochons et son odeur irrespirable, longe un hangar ouvert à tous vents où sont entreposés de nombreux engins et accessoires inutilisés « De quoi ouvrir un musée agricole » dit Alice. Pourquoi pas, ces instruments ont tous une histoire. J'arrive devant la maisonnette d'Auguste et de Marie-Jeanne, ce couple avait travaillé de longues années à la ferme et grand-père leur rendait visite de temps en temps, je sais qu'il estimait beaucoup ces braves gens.

- Tu fais le tour du propriétaire mon gars?

 Auguste est dans son potager, Marie-Jeanne est à la fenêtre.

Je savais que la vieille dame allait encore me parler de mon père, c'est elle qui s'en occupait pendant la grande guerre, lorsque grand-père était à Verdun et que grand-mère régentait le domaine.

- Un bon gamin, un peu foufou mais tellement attachant...ton oncle était différent, c'était un sournois, il faisait toujours ses coups en douce.

- Il n'a pas changé.

- Tais-toi donc Auguste.

- Ne fais pas trop attention, elle perd la boule, c'est vrai que Jean était un bon gamin, extravagant quelques fois, adulte il était toujours le même, près à s'enflammer... oh pardon je dis des conneries, je voulais dire ...enfin tu m'as compris.

J'avais souvent entendu parler des excentricités de mon père sans savoir ce que la famille et en particulier Charles pouvait lui reprocher, Alice que je questionnais me répondait évasivement, quant à ma mère, elle ne répétait que les mêmes phrases «  Il était bon et généreux, toujours de bonne humeur »

- Une petite promenade vers le bois Louis, ça te dit mon garçon? j'en ai marre de piocher les mauvaises herbes, elles poussent plus vite que les salades avec ces pluies incessantes.



15/11/2010
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