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Un été ordinaire

Lassant cet ersatz de western, les coups de pistolet sont rares, les couses-poursuites à cheval nulles, le shérif  idiot et maladroit, trop de dialogues et surtout trop de scènes d’amour.

- Pour une fois ce n’est pas si mal.

Naturellement Marina préférait. J’attendais des révélations, elles tardaient à venir, je m’approchais d’elle et tendais ma main vers la sienne, elle réagissait à peine puis se tournait lentement vers moi.

- Je voudrais...j’aimerais que nous reprenions les mauvaises habitudes d’avant, ton père est terriblement soupçonneux, il se doute de quelque chose, et puis cette menace permanente, ce voyeur. Oublie ce qui s’est passé, laisse-moi vivre ce que j’ai tant désiré, tant pis pour moi, je croyais qu’une existence de luxe suffirait à mon bonheur, je me suis trompée.

Marina retirait sa main de la mienne, me gratifiait d’une caresse sur le bras et reprenait sa position habituelle, pelotonnée dans le coin du grand sofa.

- L’incendie, tu sais qu’il n’est pas accidentel?

J’attaquais bille en tête, surveillant attentivement les réactions de la dame.

- Je sais, mais s’il te plaît évite de me parler de ce malheur, tu sais pourquoi, celui qui a fait une telle chose mériterait de périr par le feu...

Comment analyser cette réponse, et l’air catastrophé de ma voisine, le même que celui qu’elle arborait dans son chalet, assise sur le pouf.

- Je monte me coucher...toi aussi, Frrred...ton père est occupé pour une bonne demi-heure.

C’était une invitation, j’effectuais un demi-tour pour apercevoir mon père ; assis près de la petite table, il venait d’allumer l’un de ses énormes cigares venant tout droit de Cuba, un cigare d’un prix exorbitant affirmait sa petite sœur;  il allait le savourer durant plus de trente minutes, j’avais chronométré. Un tel barreau de chaise ne peut s’éteindre, sinon il perd toutes ses qualités, toute sa richesse, paroles de Pierre-Louis, un spécialiste es cigare, et puis un avenant important à cette assurance, il est interdit de fumer ailleurs que dans la grande pièce et si possible à proximité de la cheminée, le fumeur suivait les consignes édictées par sa petite sœur chérie. Ce rituel fumant n’avait lieu que dans les grandes occasions, lors d’une visite importante, lors de l’annonce d’une bonne nouvelle ou quand un gros problème s’abattait sur la maison. La raison de cette cérémonie tabagique était évidente aujourd’hui, il n’y a pas de fumée sans feu.

 

Pirojki...mais il y a du feu sans fumée, et le feu avait envahi tout mon corps, toute mon âme, je venais de regagner ma chambre, je tremblais  d’émotion, je vibrais de bonheur. Que  les femmes sont compliquées, incohérentes, déboussolantes, il faut croire ce qu’elles taisent, oublier ce qu’elles affirment,  j’entends dire avec déplaisir qu’il faut  rester sage et cinq minutes après une tempête balaye les résolutions, une tornade culbute les intentions, un cyclone m’offre des plaisirs.

J’avais soif, le gosier en feu, je dévalais l’escalier, mon père terminait son cigare avec délectation, il paraissait apaisé; si tu savais père ce qui pousse sur ton auguste front, ce ne sont point des lauriers. Tante Odette remontait ses lunettes pour mieux me voir.

- Des insomnies? Depuis le temps que tu es couché.

La fumée du havane faisait des ronds, il  avait sérieusement raccourci ce cigare, machinalement, je regardais la pendule.

- Oublie cette histoire d’horloge-pointeuse, j’ai téléphoné ce matin à Martin, il avait installé cet appareillage dans son usine, déception, c’est la porte ouverte à toutes les manœuvres frauduleuses, les bons amis pointant pour les retardataires, en définitive la meilleure solution reste encore notre bon vieux contrôle visuel, aucune tricherie possible, mieux, non seulement nous pouvons nous assurer de leur présence, mais nous voyons s’ils prennent leur poste à l’heure,  avais-tu  parlé de ce projet  à nos hommes ?

Je répondais par la négative, j’attendais un moment favorable pour tester Fernand.

- Par contre, à présent que nous savons malheureusement que l’incendie n’était pas spontané ou accidentel, nous comptons sur toi pour recueillir incidemment des renseignements, j’en parlais à ta tante, dans un premier temps nous allons taire cette information, le coupable peut se découvrir, se croyant à l’abri.

- Ou recommencer.

- Odette, tu dramatises, j’ai demandé à Gaspard d’être plus attentif qu’il ne l’était jusqu’à présent, il doit effectuer des tours réguliers, la garde de nos installations fait partie de ses attributions tout de même. 

Madeleine n’était pas encore couchée.

- Tu tombes bien Frédéric, la lampe du petit couloir est morte, Sylvette avait peur de passer, des fois qu’un fantôme sorte de la cave pour lui sucer le sang.

- Un vampire plutôt.

- Si tu veux, elle m’inquiète la gamine, elle change, tu as vu, elle devient plus femme, c’est un mauvais passage, je la mets en garde contre les tentations et toutes les autres choses.

- Avec les hommes tu veux dire.

- Tu connais Emilien, il a pris de drôles de plis dans la légion, je peux te le dire à toi, je me demande s’il ne l’embête pas?

- D’autres peut-être profitent de sa naïveté.

- Possible... d’autres.

- Dans le cas où Sylvette te fait des confidences, tu me le fais savoir.

- Secrète la gamine, ces choses-là sont délicates à expliquer, déjà avec mes filles je n’arrivais à rien savoir et quand la cadette s’est retrouvée enceinte, c’était la surprise, jamais su qui était le voyou qui avait abusé d’elle.

- Mado?

- Oui, heureusement qu’elle est tombé sur un brave garçon qui a accepté de la marier malgré son gosse dans les bras, tu te souviens d’elle, tu devais avoir une dizaine d’années? Ta maman était encore de ce monde...ce qu’elle était gentille avec Mado, un an qu’elle a travaillé ici mais c’était trop dur pour elle, fragile elle était ma fille...jamais su, mais c’était sûrement un gars de la scierie.

- Pas Emilien, il était encore chez les mangeurs de boudin, à la légion.

- Non mais le même genre, un Espagnol ou un Polonais, ces êtres-là se moquent bien de l’âge, quinze ans et demi qu’elle avait Mado quand elle est tombée enceinte, quelle honte. Et ma sœur voulait que j’aille voir une faiseuse d’anges, tu sais ces folles qui font plus de mal que de bien. Moi j’ai toujours dit, le Bon Dieu il a voulu qu’un enfant vienne au monde, il faut le laisser venir, il est adorable et intelligent mon petit-fils même si son père était un sale type, peut-être parce que c’était un sale type, pour compenser comme dit mon gendre.

Je remplaçais l’ampoule du petit couloir mais elle était un peu forte pour cette surface réduite.

- Ca ne fait rien pour ce soir mais j’en achèterai une moins forte, si ta tante le remarque elle va dire que c’est du gaspillage.

Je me sentais nettement mieux que la première fois après la séance dans la datcha, l’habitude s’installe mais je ne veux pas perdre de vue que je dois penser à d’autres femmes que Marina, papa fume rarement des cigares le soir avant de se coucher. Et puis commettre un pêché avec une incendiaire, c’est devenir son complice. La prochaine fois que nous sommes seuls j’essaye de savoir pourquoi elle a fait ce geste insensé.



16/05/2011
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