La nymphe vengeresse
Je regardais le profil de mon voisin, il avait un visage impassible et se cramponnait à son volant.
...........
- Nous ne pouvons aller plus loin en voiture, c’est trop mauvais, le chemin est complètement défoncé.
Heureusement que j’ai des bottes suffisamment hautes, à plusieurs reprises je glisse dans les ornières profondes et remplies d’une eau verdâtre où fourmillent une myriade d’insectes. Nous cheminons péniblement, j’essaye de mettre mes pas dans ceux de mon guide pour éviter les pièges. L’air est vif, je remonte le col de mon blouson, je sens mes pieds s’engourdir, ils ne sont pas habitués à un tel régime, et puis les bottes doivent être un peu justes.
- Encore un peu de courage, plus loin, le terrain est meilleur.
Jean Galley se retourne et semble me narguer, je lui trouve un air bizarre, une sorte de rictus qui me fait baliser. Martine avait raison, j’aurais dû éviter une telle promenade, dans un coin aussi désert, avec un inconnu. L’assassin, c’est peut-être mon pilote, un spécialiste de la forêt, assez malin pour masquer ses crimes ; je ralenti, laisse prendre du champ à ce Mauziais qui me fait peur.
- Voyez c’est mieux par ici.
Toujours ce rire figé au milieu d’un visage blême où domine un nez qui s’allonge... C’est nettement plus praticable en effet, nous suivons une sente au sol spongieux mais moins boueuse.
- Nous y sommes, voici la fontaine.
Je m’attendais à découvrir un ouvrage cimenté ou en pierre, avec un tuyau de plomb d’où s’échapperait un filet d’eau, je suis déçu, ce n’est qu’une mare envahie par des herbes aquatiques avec, au centre, un léger bouillonnement. Nous contournons le bassin, l’eau déborde et ruisselle en cascade vers un fossé, un gazouillis résonne dans le silence de la forêt profonde.
Je reste quelques minutes, immobile, les yeux rivés sur l’onde claire qui inlassablement s’écoule, depuis des millénaires je suppose. La fontaine n’a pas usurpé son nom, des chênes majestueux l’entourent, comme pour la protéger ; l’un deux a un tronc énorme et tourmenté, ses racines ressemblent à de gros orteils...Je pense aux miens qui crient leurs tourments, qui aimeraient retrouver une chaussure douillette.
- Le plus vieil arbre de la forêt de Mauzieux, il doit avoir dans les huit cents ans, voyez, il se porte bien malgré son âge.
Je guette chaque geste de l’exploitant forestier, me tiens à distance respectable, prêt à bondir en cas d’attaque. Serait-il plus rapide que moi ? je le crains, l’habitude du terrain, et puis je risquerais la chute, le front cognant une pierre et le nez s’enfonçant dans la gadoue...
- Venez, je vous montre l’endroit où Albert a été retrouvé.
Nous enjambons le ruisseau et pénétrons un fourré épais, il faudrait presque une machette pour se frayer un chemin.
- Voilà, il aurait buté sur cette vieille souche et son front aurait heurté cette grosse pierre apparente.
Je suis étonné de la précision de mon guide, plusieurs souches et plusieurs pavés se ressemblent.
- Le chantier d’abattage qu’il devait inspecter était sur le flanc gauche du coteau ; pour rejoindre la source, il devait franchir un secteur touffu, un taillis en pleine repousse, ou alors faire un long détour, ce qui était contraire à ses habitudes, Albert prenait toujours la ligne droite, dans tout les cas, moralement aussi.
- Votre avis sur sa présence à proximité de la fontaine ?
- C’est là que réside le mystère, aucun n’avait de bonnes raisons de venir dans les parages de la source, à mon avis et à celui des mes amis, ils ont été attiré par un appel au secours...ou bien ils avaient rendez-vous avec l’assassin ou un complice... dans le village, vous allez entendre des sornettes, je vous préviens, les gens vont certainement vous parler de la nymphe de la fontaine.
- La nymphe de la fontaine ?
- Oui, des balivernes qui sont racontées aux enfants pour les endormir et que de nombreux adultes gobent encore, nous sommes dans un pays forestier, toute cette masse boisée difficile à pénétrer garde un certain mystère qui entretient les légendes.
- Et la nymphe fait partie de ce folklore local.
- Certains vous diront qu’ils l’ont aperçue, courant nue dans la clairière et plongeant dans le bassin avant de disparaître, une belle jeune fille aux longs cheveux dorés. Elle doit être irréelle car elle ne vieillit jamais, ce serait le fantôme d’une noble dame qui aurait été violée et assassinée dans les parages, il y a mille ans.
- Neuf cents ans exactement, votre maire m’avait parlé de cette triste histoire.
- Histoire qui se transmet de génération en génération.
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