Un été ordinaire
Triste mine pour un triste sire, triste journée en prévision, un orage matinal avait détraqué le temps, mon père avait passé une nuit détestable et cette évidence atténuait ma douleur.
Madeleine...Mado...son enfant? voilà qu’une autre question venait me tarauder, le petit-fils de la cuisinière est peut-être mon demi-frère. Je dois en parler immédiatement à Marina.
- Marina est souffrante, elle ne descendra pas ce matin, Sylvette si tu veux lui monter un café noir, elle ne veut pas de thé ce matin.
- Attends Sylvette, c’est moi qui lui monte.
La taupe grise laissait tomber sa biscotte beurrée qui se pulvérisait sur la table, par contre mon père restait de marbre.
- Toi... merci je ne veux rien, je serais avec vous pour le déjeuner.
Je posais ma question délicatement sur l’oreiller rose de Marina.
- La petite Mado? Madeleine affirme que non, dit-elle la vérité? seule sa fille pourrait répondre mais je t’en prie, évite de déranger ces braves gens, ils sont heureux.
- Madeleine? ...elle doit être au courant des agissements de son patron concernant Sylvette.
- Mon pauvre Fred, tu découvres tout en même temps, Madeleine, cette femme sans malice, est un peu une complice sans le vouloir, comme moi, elle doit savoir ce qui se passe entre Sylvette et ton père, elle doit savoir mais elle ferme les yeux...allez du courage la vie continue, tu verras qu’elle n’est qu’une succession de joies et de déceptions, et que plus tu avances, plus les déceptions te déçoivent et moins les joies te réjouissent, c’est pour cela que la vie terrestre a un terme. Certains ont moins de capacité à supporter le poids des compromissions et de la fausseté et préfèrent changer de planète avant d’être complètement anéantis.
- Comme maman.
- Possible que la maladie ne soit qu’une autodestruction, surtout ce maudit cancer qui ronge l’intérieur du corps, c’est ce qui m’attend aussi, j’en suis persuadée....à tout à l’heure, ta tante va dresser ses grandes oreilles pointues dans notre direction.
- C’est pas possible, je n’en reviens pas.
Gabriel était choqué, cet homme honnête venait de découvrir toute la bassesse de la taupe. Mon intuition était bonne, entre Lombardi et Mansion, j’avais fait un choix, je m’étais renseigné au bureau pour connaître la date du prochain enlèvement de la part du menuisier. Comme d’habitude, ma tante avait accaparé le client, j’étais monté dans le grenier et glissant un regard à travers une fente du plancher, j’avais assisté à une scène édifiante. A peine les ouvriers préposés au chargement se retiraient et avant de refermer la porte arrière de son fourgon, Mansion enfournait rapidement plusieurs paquets de beau parquet de chêne puis claquait la porte. Ensuite posément, il sortait des billets de sa poche, la taupe s’en saisissait prestement et les glissait entre corsage et jupe, probablement dans sa petite culotte, un bon endroit pour une cachette, surtout pour ce triste personnage, aucun risque de subir une intrusion.
- Je n’en reviens pas.
Effectivement, le brave Gabriel planait.
Je me demandais ce que la taupe pouvait faire avec cet argent, le mettre de côté pour la prochaine cure à Ischia afin de pouvoir monnayer les bonnes grâces du serveur, pouah, pour des millions, moi, jamais...
- Une nouvelle qui va te remplir d’aise, toi l’ardent défenseur de la veuve et de l’orphelin, le Robin des bois de Calaumont, nous avons reçu une proposition très intéressante concernant des fosses septiques, je me demande par quel miracle le fabricant a appris nos éventuels besoins. Il lance une grande campagne sur ce produit et une bonne référence serait un excellent moyen de promotion, vingt unités vendues et installées chez Delanaud SA peuvent servir de tremplin pour sa fabrication.
Ma tante était déjà au courant de ce projet, comme à son habitude, elle émettait quelques réserves à ce projet.
- Nous allons prendre de sérieuses garanties, effectuer un règlement échelonné, ainsi, en cas de malfaçons nous aurons le beau rôle.
- Un tel investissement non productif et avec amortissement sur dix ans minimum ne permettra pas d’acquérir un de ces engins ‘faitout’ tel celui que tu as été voir à Maraucourt chez nos amis de la SOFAMA.
Et pan dans le nez, impossible de faire un pas hors de cette boutique sans avoir des espions à ses trousses, avec un service de renseignements aussi efficace, Pierre-Louis Delanaud doit être au courant de mes relations avec sa maîtresse. J’en suis heureux et je n’aurai pas besoin de lui annoncer moi-même ; si, un jour de colère, tout juste pour lui rappeler.
Le PDG attendait une réaction, elle était probablement différente de celle qu’il prévoyait.
- Puisque tu m’espionnes, tu es également au courant de ma rencontre avec un certain Isidore? ce vieil homme m’a raconté une histoire déplorable, celle d’une fille naïve violée par un triste sire, la fille naïve c’était la sienne, cela s’est passé ici même, dans l’enceinte de l’usine. D’après la femme d’Isidore, tu te serais montré magnanime envers le scélérat et impitoyable envers la victime ce qui, d’après les braves gens prouverait que tu étais très proche du violeur et que tu voulais couvrir cet ignoble personnage.
La cible devait faire un effort considérable pour rester stoïque, seul un tremblement léger de ses mains le trahissait.
- Et toi l’héritier de la dynastie Delanaud, tu prends pour argent comptant les élucubrations d’un vieux radoteur, mon pauvre ami, tu me déçois de jour en jour.
La pirouette de mon père était réussie, beaucoup moins que le maintien en équilibre de sa sœur, elle était debout, elle devait s’appuyer sur le manteau de la cheminée pour éviter la chute. La taupe grise était devenue verte. Etait-elle au courant des agissements de son cher frère ?
- Tu te sens mal Odette...tu vois petit imbécile, où mène ton colportage de calomnies.
Assise, ma tante reprenait ses esprits, de grosses gouttes de sueur perlaient sur son front, elle extirpait son mouchoir-drap de lit et se voilait la face.
- Tu veux un remontant?
Aucune réponse.
- Un loup dans la bergerie, voilà le résultat d’une éducation laxiste.
J’avais déjà entendu cette phrase à plusieurs reprises, Pierre-Louis Delanaud était à court d’arguments.
- Je regrette de t’avoir laissé la bride sur le cou trop facilement, excuse-toi au moins.
Marina regardait la scène sans intervenir, elle devait jubiler intérieurement ; poignant l’attention particulière d’un frère envers sa sœur.
Tante Odette reprenait quelques couleurs et ses esprits, repoussait mon père assez brutalement, se levait et fonçait vers son antre.
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