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Le moulin des ombres

-Monsieur Laurent Passy, journaliste spécialisé dans les faits divers est expressément demandé à la réception par une demoiselle.

Qui est cette demoiselle? Je me penche du haut de l’escalier, la visiteuse est à peine visible mais il me semble qu’il s’agit de Mélodie. Elle est campée dans le hall, les yeux rivés sur la fresque murale, œuvre imposée à notre vue par la haute direction qui trouve génial ce barbouillage. Et je ne parle pas de madame Magien, lors de ses rares apparitions dans nos bureaux, elle tombe en pâmoisons, s’extasiant chaque fois un peu plus.

La visiteuse est bien la charmante Mélodie.

- Vous trouvez ça beau?

- ...Dondaine...certains trouvent ça laid, c’est mon cas.

- Ce doit être fixé à l’envers.

- Cette peinture n’a aucun sens...vous venez récupérer votre casque? J’attendais votre frère ou votre père.

- Et ma visite vous déçoit, moi qui pensais vous faire plaisir.

La gamine est adorable, oubliée la combinaison, la jupe noire en lycra n’a pas été tirée depuis longtemps, elle perd un centimètre à la minute, elle moule parfaitement une paire de fesses au galbe parfait. La partie haute est de la même veine, la tricoteuse manquait de laine, le pull s’arrête bien au-dessus de la ceinture et laisse apparaître une partie anatomique d’un érotisme insoutenable… C’est Marianne Mangoni, une dizaine d’années en arrière.

- Que nous vaut l’honneur de votre visite dans notre ville ?

-Je suis inscrite à l’université, à la fac de lettres, je ne vous l’avais pas dit?

- Vous voulez être avocate?

- Journaliste, c’est un métier qui me paraît exaltant, mais journaliste à la télé ou pour de grands journaux, et puis de préférence à l’étranger.

La môme au petit ventre rose remue le fer dans la plaie, c’était mon Credo en entrant dans la carrière.

- Comment se porte l’accidentée?

- La jambe arrachée et le petit doigt cassé...tenez, regardez la plaie s’est parfaitement refermée, j’ai eu la chance de rencontrer un secouriste maladroit mais très délicat.

Le secouriste aurait bien besoin d’être soutenu car il risque de défaillir, Mélodie me présente sa cuisse sous le nez.

Nelly guette à travers sa vitre, elle doit bouillir en voyant le tableau, je parlais d’œuvre d’art, en voilà une qui ne peut être que le fruit d’un ébéniste de talent et d’une fermière vigoureuse.

- J’ai encore une petite douleur au doigt, j’avais peur qu’il soit cassé mais non... alors mon casque, il arrive.

- Dans le coffre de ma voiture, sortons.

- Vous avez l’air d’avoir des regrets de me le rendre, vous pouvez le garder comme souvenir, si cela vous fait plaisir.

- Votre machine est remise sur roues?

- Pas encore, les pièces manquent, comme d’habitude...je peux en acheter une autre, plus design.

Une voiture vient de franchir la barrière.

- Arnaud... je pourrais revenir, j’aimerais visiter vos bureaux, ainsi que la rédaction, c’est possible?

- Possible si vous avez vos entrées, si vous connaissez quelqu’un.

- Et vous êtes quelqu’un...de sympa aussi.

- Aussi, quoi d’autre?

- Depuis quand les filles devraient faire des compliments aux mecs...vous êtes...vous me plaisez... bien... voilà vous êtes satisfait.

- Je vous attends le plus rapidement possible, prévenez-moi, je vous servirais de guide.

- OK Laurent.

- Votre grand frère ne porte pas sa casquette de golfeur aujourd’hui.

- Vous avez déjà rencontré Arnaud?

- Tout à fait par hasard et il était dans une situation nettement supérieure à la mienne, au volant d’un engin impressionnant, voyez j’ai une certaine habitude de croiser des Lemoine motorisés sur les routes de campagne.

- Vous êtes jaloux de sa casquette, si vous voulez, je peux vous en donner une, quelle taille faites-vous?

- Pourquoi, vous avez un élevage de couvre-chef dans votre ferme?

- Mais non, les casquettes poussent dans la terre, nous avons un champ réservé à cette culture originale...salut, je vous appelle pour la visite guidée… à bientôt.

Elle sait que j’ai les yeux braqués sur elle, la bougresse ondule de la croupe, elle me fait juste un petit salut avant de monter dans la voiture de son frère.

 

Le capitaine Verlet en personne veut me parler.

- Passez dans nos bureaux dès que possible.

J’obtempère rapidement, quatre jours sans une ligne concernant l’affaire Mangoni dans ma rubrique,  l’actualité judiciaire toujours au point mort, les cambrioleurs qui prennent également des vacances et les braqueurs qui ont changé d’air, j’ai un besoin urgent de matière.

Les grands bureaux de la Gendarmerie Nationale ne sont plus ce qu’ils étaient, depuis trois ans, ils sont installés dans un immeuble moderne, portes en verre, hall d’accueil digne d’une grande entreprise et les  plantons bougons ont été remplacés par des hôtesses  jolies et accortes. Malgré l’uniforme et même grâce à cet uniforme, la  demoiselle uniformisée qui me reçoit est digne d’intérêt. Voilà un métier qui sait encore faire la différence entre les sexes, les jupes sont toujours de rigueur et elles s’arrêtent à un niveau que je trouve judicieux, quand à la veste de mon interlocutrice, elle est  parfaitement ajustée et  s’ouvre sur une chemisette réglementaire emprisonnant deux fortes personnalités. 

- C’est au deuxième étage, troisième bureau à gauche en sortant de l’ascenseur, vous pouvez monter seul le capitaine Verlet vous attend,  son nom est inscrit sur la porte.

Une voix d’aéroport, un sourire de boulangère, des yeux de coiffeuse pour dames, la gendarmette a tout pour plaire.

Chouette bureau le pitaine.

- La femme qui a reconnu Fabien Mangoni sur le portrait-robot, celle que vous avez rencontrée dans le square, rappelez-moi  sa description.

- Vous deviez la tenir à l’écart.

- Oui mais son témoignage nous serait bien utile, sur notre demande, nos services parisiens ont fait une enquête, ils sont allés à l’hôtel de Neuilly où le personnel a reconnu formellement notre homme au vu de la photo confiée par mademoiselle Mangoni, ils ont appris qu’une femme avait partagé sa chambre durant une semaine environ.

- Isabelle Delvaux?

- Non, son mari est capable de réaliser des miracles mais pas au point de la rajeunir d’une bonne dizaine d’années, d’après le portier de l’hôtel, la dame en question était plus mince et plus jeune. Vous qui avez vu l’informatrice de près, votre coup d’œil  professionnel, un détail à nous signaler, je commence à vous connaître, quand vous regardez une femme, vous vous comportez comme un expert en tableaux.

- Votre écran espion fonctionne bien, la demoiselle de l’accueil est sous haute surveillance je suppose.

- Elle non, mais ceux qui lui parlent, oui.

- Elle avait une chevelure postiche, des lunettes noires, elle est restée deux minutes avec moi.

- Vous parlez de la femme du square à présent, à part cela, son nez, sa bouche, elle n’était pas voilée tout de même?

- J’aurais dû remarquer un détail?

- Possible, faites un effort de mémoire.

Bien l’impression que le capitaine  Verlet cherche à m’aiguiller vers la légère cicatrice au coin des lèvres.

- Bon, je vous dis tout, une petite trentaine, un corps de déesse Grecque, des yeux turquoise et...

- Un signe distinctif.

- Un petit accent Anglais.

- Vous êtes terrible, heureusement que vous ne subissez pas un interrogatoire sérieux, j’aurais envie de vous braquer  une lampe halogène dans les yeux ; le portier de l’hôtel de Neuilly, comme ses collègues, est un excellent physionomiste, il nous a fait une description moins poétique que la vôtre et il a ajouté une cicatrice en prime.

- Insignifiante... c’est bien la même, elle avait retrouvé  Fabien, elle m’a donc menti la vilaine.

- Et ce mensonge en cache peut-être d’autres, ces défauts vivent souvent en groupe et ils se reproduisent.

- Elle ne fait que tromper son mari, à notre époque c’est banal.

- Alors, pourquoi vous raconter son histoire d’adultère, une citoyenne comme on en trouve plus, une auxiliaire de police, je n’y crois pas vraiment, cette déclaration spontanée masque autre chose de plus important, d’autant plus que la ville de Bristol ne la connaît pas, les professeurs de Français ont été passé au crible, aucun n’a une épouse qui ressemble à votre Aphrodite à la cicatrice.

 



29/03/2011
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