L'araignée rouge
L’ancien éclusier me fait déjà les honneurs de sa propriété.
-A peu de chose près la même maison que celle de St Jean, aucun problème pour la meubler, nous avons gardé le même décor.
-Vous pouviez acheter celle de St Jean, vous auriez évité un déménagement.
-Vous plaisantez, ma femme avait hâte de quitter cette ville, et puis ici j’ai un grand potager, à St Jean j’avais de quoi cultiver du persil et quelques salades, sans compter que notre fille cadette habite à une vingtaine de kilomètres de Louvoy, nous avons souvent la visite de nos petits-enfants.
-Le grillage au bord du canal, c’est pour les protéger.
-Exact, les gosses sont imprudents, mieux vaut prévenir que de ne pas guérir.
Monsieur Klein m’invite à prendre place dans une véranda avec vue sur le canal.
-Il a y a encore de la circulation sur cette voie navigable ?
-De moins en moins, je vois parfois des mariniers qui passaient à St Jean, c’est sympathique.
-Et des plaisanciers ?
-La région est peu touristique…Jean m’a parlé de votre croisière, vous pensez que le tireur était dans la maison Thomas ?
-Celle qui fait l’angle avec le chemin de l’écluse.
-C’est ça, le propriétaire des lieux était artiste peintre, enfin artiste, c’est vite dit, j’ai vu ses tableaux, même dans mes WC je n’en aurais point voulu.
Madame Klein vient d’entrer.
-Affreux, et dire qu’il exposait, même à Paris et qu’il avait des acheteurs, et puis il était…
-Madeleine, chacun mène sa vie comme il l’entend, il ne dérangeait personne.
-Mais il attirait les gamins chez lui.
-Il a déménagé ?
-Non, il s’est pendu, paraît qu’il avait une maladie incurable…Je voulais vous parler de la gamine, elle passait sur la passerelle au moins trois par semaine en poussant son engin, c’était interdit mais je l’accompagnait souvent, par sécurité, au retour aussi, je veille tard.
-Elle sonnait à votre porte.
-Vous avez une bonne mémoire.
-Elle se rendait rue du Canal, chez sa grand-mère.
-Oui, et surtout elle retrouvait une bande de jeunes, ils se cachaient dans la maison Thomas pour boire et fumer leurs saloperies.
-Des jeunes du quartier ?
-Et d’autres aussi, plutôt des gosses de riches…Je voulais vous dire, j’ai oublié d’en parler aux gendarmes, la veille, enfin le jour de sa mort puisqu’il paraît qu’elle est morte vers les dix heures du soir, quand elle est passée, elle m’a dit qu’elle couchait chez sa grand-mère, que je n’avais pas besoin de l’attendre.
-Elle vous prévenait chaque fois ?
-Rarement, elle prévenait ses parents bien entendu, et cette nuit-là ils ne se sont pas inquiétés, quand ils ont appris la nouvelle de bon matin, vous imaginez ?
-Et la grand-mère ?
-La pauvre grand-mère elle perdait un peu la tête, alors avec ce choc en plus, d’ailleurs elle est morte quelques mois plus tard.
Cette révélation me trouble, si elle avait l’intention de dormir chez son aïeule, elle n’avait pas besoin d’essence, le témoignage de madame Vallon est-il sincère ?
-C’est vous qui avez découvert le corps flottant dans le canal ?
-C’est ma femme, elle a aperçu quelque chose depuis la fenêtre du grenier, elle m’a crié, va voir ce qui flotte dans le canal, quand j’ai vu, j’ai tout de suite pensé à un noyé, deux fois c’était déjà arrivé, des suicides.
-Je suis descendue du grenier et j’ai téléphoné aux gendarmes, les pompiers sont arrivés avant, je ne sais pas qui les avaient prévenus.
-Ils ont remonté le corps, c’était la gamine…
Jean Klein se mouche, il est ému, il se remémore la scène, sa femme continue le récit.
-Les gendarmes sont arrivés, quelques personnes du quartier venaient aux nouvelles, c’est là qu’une voisine a dit qu’elle avait vu Karine et monsieur Vallon au bord du canal, derrière les garages, la veille au soir.
-Moi j’étais rentré à la maison pour boire un schnaps, j’étais tout retourné, puis j’ai entendu un bateau arriver, j’ai l’oreille, je les entendais de loin, je me suis dit, je ne vais pas le faire passer, avec cette histoire.
-Paraît que des gendarmes sont allés au chalet pour questionner monsieur Vallon, il n’y avait personne, et pour cause, le bateau, c’était eux, j’ai appelé mon mari.
-A peine dehors, j’ai entendu un claquement sec, j’ai cru que c’était un gendarme qui avait tiré et puis j’ai compris que le coup de feu, c’était pour monsieur Vallon.
-Vous avez déclaré que le claquement venait de votre gauche, de la bâtisse.
-Oui de l’ancien café des Pêcheurs, il me semblait, et je n’étais pas le seul à le dire, mais vous savez, à côté d’un canal, il y a comme un écho, après j’ai dit aux gendarmes que je n’étais pas sûr, mais entre temps, ils ont couru sur la passerelle et ils ont fouillé la bicoque, sans trouver personne, parait qu’un pêcheur a vu un type déguerpir et monter dans une bagnole…Maintenant, comme le disait monsieur Leguen, le tireur était certainement dans la maison Thomas, au premier étage, il est resté planqué tant qu’il y avait du ramdam dans le quartier.
-Moi je pense que le tireur était l’assassin de la gamine ou à un complice, un beau coup monté , ajoute madame Klein.
-Parlez-moi un peu des gens de St Jean, j’ai l’impression qu’ils vous ont laissés un mauvais souvenir.
L’épouse de l’éclusier est intarissable sur ce sujet.
-Nos enfants ont souffert, à l’école, au collège et au lycée, c’étaient des parias, surtout le garçon, il était bon au football mais l’entraîneur avait ses chouchous, il le faisait jouer en équipe deux.
-L’entraîneur avait des ordres, il fallait faire jouer les gamins des notables en priorité, c’est la loi du plus riche à St Jean.
Avant de partir, monsieur Klein me conseille de rencontrer Hervé Bouchard.
-C’est le fils d’un marchand de chaussures sur la place de la Fontaine, il faisait partie du groupe de jeunes, il venait parfois raccompagner la gamine jusqu’à l’écluse ça devait être son amoureux, avant de se quitter, ils se bécotaient.
Je quitte le couple Klein, cette histoire d’essence me turlupine, Karine avait peut-être l’intention de faire une virée avec ses copains ce soir-là ?
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