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Les yeux de la lune

- Maman, je monte à la ferme.

- S’il te plaît Christophe,  fait le détour par le passage à niveau, il paraît que bien souvent tu traverses les voies de chemin de fer n’importe où, madame Laurent t’aperçois de son jardin, la micheline va tellement vite et elle est silencieuse.

J’aimais fréquenter la ferme de grand-père exploitée par Ferdinand et Louisette, les animaux et particulièrement les chevaux  me plaisaient.

- Dommage que tu ne sois pas mon fils, ma relève serait assurée, répétait le brave fermier.

D’après la famille, Ferdinand était un homme bon et travailleur.

- Un peu rustre et parfois brouillon mais sa Louisette sait en tirer le maximum, disait grand-père en tortillant sa moustache.

Louisette, une femme épanouie aux rondeurs avantageuses, pendant des années, ses baisers humides me répugnaient, j’essuyais furtivement mes joues et allais me laver les mains, puis, curieusement, depuis le dernier nouvel an, au contraire, je trouvais ces baisers doux et chauds.

- Christophe est un homme maintenant, tu vas cesser de l’embrasser comme si c’était un gamin.

Ferdinand semblait jaloux, quand j’avais le regard braqué sur le décolleté de son épouse, il me faisait les gros yeux.

- C’est ton paternel qui aurait dû reprendre la ferme, à c’t’heure, il serait encore de ce monde, seulement monsieur Julien n’avait aucune envie de sentir la bouse de vache pour faire le gandin, pour courir  les filles.

 

La guerre avait été déclarée, c’était prévisible,  grand-père ne cessait de répéter que nous allions à la catastrophe.

- Nous sommes mal préparés, les Prussiens remâchent des idées de revanche depuis le 11 novembre 18, pendant ce temps, nous perdions notre temps et nos forces dans des pays lointains, sur des terres qui ne nous appartiennent pas, tout ça pour faire plaisir aux colons.

Tout de même, il admettait que l’honneur de la France exigeait qu’on ne laisse pas  Hitler dicter sa loi sur l’Europe.

- Envahir la Pologne, c’est de la provocation, mais où donc s’arrêtera cet énergumène ?

 

Malgré sa situation géographique loin d’une grande ville, le village de Brécourt était tout de même menacé par les bombardements, la voie ferrée qui l’encerclait avait une importance stratégique et le danger était réel. Lors de la guerre précédente, les Allemands avaient pilonné sans cesse la courbe et le pont du chemin de fer, presque tous les bâtiments avaient été détruits, quelques ruines subsistaient encore.

Les maisons de notre rue n’avaient pas de caves, construites en bordure de la rivière, les crues annuelles les auraient envahies.  Ordre était donné par la mairie de creuser des tranchées à proximité des habitations, grand-père et monsieur Langlois, un voisin, s’étaient attelés à la tâche. En rentrant de l’école, j’allais me rendre compte de l’avancement des travaux et je donnais un coup de main aux terrassiers, enlevant à la main les grosses pierres extraites, je les déposais à l’entrée du pré, construisant une sorte de tumulus que je voulais semblable à une pyramide d’Egypte.

- Jamais vous ne ferez descendre dans ce trou infect, c’est humide, ça pue, c’est pire qu’un caveau de cimetière.

Simone nous serinait la même rengaine chaque fois que nous venions nous laver les  mains sur l’évier.

- Attends ma belle, quand les bombes exploseront autour de toi, tu seras bien aise de trouver un abri, rétorquait son père.

 

La prophétie de mon aïeul trouvait rapidement un écho, un beau matin, un bourdonnement inhabituel me réveillait, maman me tirait précipitamment du lit.

J’avais tout juste le temps d’enfiler un gilet sur mon pyjama avant de dévaler l’escalier et nous étions rapidement dehors.

- Ils sont partis, ils étaient certainement venus prendre des repères  photographiques.

Grand-père avait l’air sûr de lui.

- Des photos ? tout de même papa, sois raisonnable, à une telle hauteur.

Simone riait, comme pour se donner du courage mais ses joues habituellement roses étaient pâles comme un linge.

Quant à maman, le bruit des avions l’avait mis en transes.

- Cela me fait penser à ton pauvre papa, mon Dieu combien d’aviateurs vont encore mourir dans cette maudite guerre.

- Mais maman, ceux-là sont Allemands, ce sont nos ennemis.

- Peut-être, mais ils sont aviateurs avant tout.

Je questionnais grand-père du regard.

- Ta maman n’a pas tort, ces hommes sont au-dessus de la mêlée, ils planent dans tous les sens du terme, Julien était ainsi...



19/01/2013
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