Le moulin des ombres
Je sentais une présence autre que celle des époux Delvaux, un bruissement dans la galerie et j’apercevais une ombre, la silhouette d’une femme vêtue d’une sorte de tunique blanche. Roger avait suivi mon regard.
- Ma sœur, excusez-moi de ne pas vous la présenter, elle est dépressive, elle a perdu son mari il y a treize mois, emporté par une terrible maladie, elle ne parvient pas à refaire surface, je vous parlais de la réaction d’Isabelle en voyant le sang dans la piscine mais celle de Marie-Louise a été terrible. Nous l’hébergeons en souhaitant qu’un séjour au calme de la campagne lui soit bénéfique mais de tels chocs sont contraires à la thérapie, espérons que le dangereux maniaque cessera son activité maléfique.
J’ai bien l’impression que le lapin de garenne à casquette est dans ce mauvais coup, mais ce Norbert serait-il capable d’inventer seul une telle farce?
- Alors vous avez vu notre bief, l’eau pure, c’est agréable à présent, plus de mauvaises odeurs.
- Oui, mais c’était un sacré dépotoir.
- Un pompier m’en a parlé, des tas de saletés, les gens de la campagne sont réellement dégoûtants.
Les citadins pas moins, mais il est vrai que les Delvaux crèchent dans le seizième et que les immondices de ce quartier sont bien planquées.
- Et votre voyage dans l’océan Indien?
- Nous aurions dû commencer par les Comores avant de faire l’Ile Maurice et La Réunion, ce n’est pas comparable.
Ben voyons, je comprends la peine de ces gens fortunés, obligés de faire de longs voyages fatigants afin de ne pas passer pour des fauchés aux yeux de leurs semblables, comme je les plains.
- Venez, je vais vous frotter cette boue.
Enfin Zaza émergeait, elle vient de s’armer d’une brosse; nous faisons quelques pas sur la pelouse.
- Je crois que le plus facile serait que vous enleviez votre chemisette, si vous le voulez bien?
Aucun complexe à me montrer torse nu, je n’ai certainement pas le bronzage de son époux mais beaucoup moins de brioche.
- Vous faites du sport monsieur Passy?
C’est qu’elle a les yeux gourmands la dame, elle s’attarde sur une tache rebelle en me reluquant.
- Il ne faut pas vous laissez faire par cet imbécile de Sultan, il a des élans incontrôlés cet animal...
Roger m’accompagne jusqu’à mon véhicule, je regarde le break noir garé sur le terre-plein, le professeur devine mon interrogation.
- Mon coupé est en panne, j’ai pris de l’essence frelatée dans une station perdue au milieu des champs, ces moteurs de race ne supportent pas la moindre impureté dans le carburateur.
Je subodorais que le chirurgien avait un codicille à exprimer, son allure de conspirateur m’avait édifié.
- Isabelle devait s’absenter aujourd’hui, elle a annulé un rendez-vous chez son coiffeur, je voulais voir seul...je peux vous parler d’homme à homme monsieur Passy? Vous avez constaté combien mon épouse est jolie et coquette, elle est aussi volage... Ne soyez pas choqué, je connaissais cette particularité avant de l’épouser, j’étais prêt à l’assumer, vous savez, je côtoie de jolies femmes et elles sont souvent reconnaissantes quand je les rends encore plus désirables. J’ignore donc la jalousie, Isabelle est libre, nous avons passé une sorte de contrat moral.
- Fabien était son amant.
- Vous carburez à l’injection, oui elle me l’a avoué, ils étaient venus en escapade ici, profitant de mon absence.
- Fabien Mangoni aurait été tué durant son séjour au moulin, qu’elle est la version de votre épouse?
- Ils sont restés ensemble quarante huit heures, Fabien a pris un taxi pour la gare de Saint-Julien, il devait rejoindre Orly et embarquer pour Montréal le jour même, il a dû faire une mauvaise rencontre entre Saint-Julien et l’aéroport.
- Entre ici et la gare plutôt puisqu’il se retrouve dans le bief.
- Oui, il n’a jamais pris le train je suppose.
- Ce que vous me dites serait intéressant pour les enquêteurs, je vais être obligé d’en parler, ne soyez pas surpris si le capitaine Verlet vous contacte.
- Je comprends et nous sommes prêts à confirmer ce que je viens de vous rapporter, mais nous voulions commencer par vous mettre au courant, vous saurez présenter l’affaire, les angles seront arrondis, les enquêteurs pourraient m'accuser du meurtre, lors d'un accès de jalousie.
Ce couple veut probablement se servir de moi pour excuser certains excès, que cache cette manœuvre? Je me suis déjà trouvé dans une situation analogue, bien entendu ma caution peut être précieuse. En tout cas, un tel témoignage renforcerait les premières impressions, le noyé assassiné est bien le fils du menuisier.
- Je vais aller faire un parcours de golf pour me changer les idées.
- Sur le terrain de Sevry?
- C’est le plus proche, un dix-huit trous plaisant et assez calme.
Roger Delvaux vient de soulever le hayon de son break, le coffre est encombré de caddies, de fers et de bois.
- Vous pratiquez monsieur Passy?
C’est un sport qui me tente mais chaque fois que pénètre dans l’enceinte d’un terrain de golf et que je vois et entend la faune qui le hante, je rebrousse chemin, si le snobisme rend bête, la bêtise vole au raz du green.
- Voyez, j’ai tout en double, regardez ces bois et ces fers magnifiques, celui-ci pour slicer, celui-ci pour putter.
Je vais avoir droit à la panoplie complète des termes employés au golf, une sorte de langage codé que tout homme sensé être au sommet doit absolument comprendre.
- Voilà mon premier fer, je ne m’en sers plus depuis bien longtemps, il est démodé mais c’est mon porte-bonheur, je le conserve précieusement.
Delvaux fait un geste violent, le fer me siffle aux oreilles.
- Pour les gendarmes, évitez de parler du sang de mouton dans notre piscine, ils se gausseraient comme d’habitude, je vais essayer de régler cette affaire à l’amiable, les voisins sont obligatoirement impliqués dans toutes ces atteintes à notre tranquillité.
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