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Un été ordinaire

- Je viens d’avoir des réclamations inattendues.

Nous venions de terminer les hors d’œuvre, c’était habituellement le moment où mon père prenait la parole une première fois alors que la tante attendait plutôt la fin du plat de résistance, juste avant ou pendant le dessert.

- Concernant nos fabrications?

- Frédéric! Que pourrait-on reprocher à nos fabrications, nous apportons le plus grand soin à tous les niveaux, nos produits sont irréprochables. 

Sauf quand il faut accorder un rabais sur une marchandise surclassée  ou échanger certains lots défectueux, à part cela nous sommes les meilleurs.

- Les ouvriers ! Naturellement, ils manifestent leur mécontentement par l’intermédiaire de Fernand, c’est devenu leur porte-parole à présent, figurez-vous que nos gens  logés gratuitement dans nos cités de la Fontaine voudraient des toilettes attenantes aux logements.

- Et ils profitent de l’absence de ta sœur pour faire cette revendication, mais pourquoi  après tant d'années ? Marina s’exprimait.

- Je me le demande.

Marina ne se le demandait pas, elle avait une réponse à sa question,  elle avait vécu quelques années  dans l’un de ses taudis et son petit frère Ronron continuait à occuper l’ancien logement de leurs parents. Elle savait que pour se rendre aux toilettes, il faut sortir du bâtiment principal, aller au fond du jardin en empruntant un chemin de dalles bossues et souvent glissantes pour y trouver une espèce de cabanon en  agglomérés et planches ajourées, une bicoque recouverte de tôles rouillées. Une fois, j’avais une dizaine d’années, en me bouchant le nez et en chassant une nuée de mouches aussi grasses que des cloportes, j’avais eu la curiosité de tirer le verrou d’un de ces lieux repoussants et le courage d’entrer, j’avais eu des nausées pendant plus d’une semaine et la sensation désagréable d’être imprégné d’une odeur nauséabonde durant plusieurs mois.

- Il est vrai que nous devrions entamer quelques travaux, le problème, c’est que si nous commençons à effectuer des améliorations, ces gens en voudront toujours plus, nous serons engagé dans un processus irréversible qui risque de nous mener dans une impasse budgétaire ...

Mon père se croyait à une réunion du conseil municipal, pour épater sa galerie de conseillers ignares, il employait des mots savants, ce qui lui permettait de reprendre le dessus, d’annihiler toute tentative d’opposition.

- Tu aurais pu parler de cette affaire ailleurs qu’à table, tu me coupes l’appétit.

Marina venait de faire un retour sur son passé, ce passé qu’elle voulait oublier, comme tous les passés.  Au cours de conversations sans importance, tante Odette glissait  perfidement quelques allusions à la vie antérieure de cette demoiselle Derazewski, parlant de la période où elle était employée de maison ici même, de son père, buveur notoire, de sa mère à la cuisse légère  c’était le terme le plus souvent employé et je le trouvais charmant.

L’évocation du passé de Marina, du temps où elle aidait Madeleine avait toujours le même effet sur moi, ce rappel faisait resurgir une image douloureuse, celle où j’avais surpris le patron et la bonne dans une position douteuse, alors qu’ils se trouvaient dans la cave. J’avais sept ans, je n’avais pas réellement compris mais j’étais certain qu’ils commettaient une vilaine action. Plusieurs fois j’avais voulu me confier à maman, mais je la sentais tellement malheureuse, je ne voulais pas aggraver sa peine. Par la suite, je guettais les faits et gestes de mon père quand il était dans les parages de la cuisine ou qu’il descendait à la cave mais jamais plus je ne l’avais surpris avec Marina. Avec le recul et avec ce que j’ai appris sur les hommes et les femmes, je suis persuadé que les rapports intimes entre les deux êtres s’étaient poursuivis, même pendant la maladie de maman, la suite l’a prouvé. Je n’avais pas condamné papa, persuadé qu’il était victime d’une intrigante ; plusieurs fois j’avais entendu ce genre de réflexion pour d’autres cas d’adultère, même ma tante fustigeait les femmes infidèles et montrait du doigt les filles volages.

- Ce ne sont jamais les hommes qui font les premiers pas, ils sont bien trop lourdauds, ce que femme veut.

 

J’attendais la reprise du travail pour monter sur le chantier et rencontrer Fernand, cette histoire concernant les cités me touchait, je n’osais imaginer la jolie et délicate Manou, courir sous la pluie et le vent vers cet endroit incontournable pour tout être humain.

- Même le Pape, le président de la République et la plus belle fille du monde  ne peuvent y échapper, essaye d’imaginer le tableau gamin.

Le contremaître et sa logique implacable savaient remettre les mammifères omnivores que nous sommes à la place qu’ils méritent.

 

- Tu comprends, les gars voudraient profiter des travaux qui vont être entrepris dans la scierie, de la présence des matériaux, de la bétonnière et de l’outillage pour construire eux-mêmes des chiottes convenables et plus proches des logements que leurs cabanes en agglos et en bois, comme d’habitude, le plus difficile sera de convaincre ta radine de tante.

Fernand comptait sur moi pour appuyer la demande.

- Les temps changent, les ouvriers se motorisent et peuvent se déplacer maintenant, pour en garder de bons, il faudra les écouter et faire des concessions, puis vivre dans un logement convenable, c’est important, surtout pour les bonnes femmes.

Et dire que la blonde Marina va avoir un chalet pour elle toute seule et que les personnes résidant aux cités n’ont pas le moindre confort.

- Pendant que j’y suis, autre chose d’important, pour la caisserie, ce serait peut-être le moment de changer le bardage, il tombe en ruines, les planches sont pourries, l’hiver prochain la vie sera intenable dans le grand bâtiment, le brouillard va s’infiltrer partout, le vent glacial et même la neige poudreuse aussi, tu te souviens du cirque l’an dernier, juste avant Noël, imagine  dans quelles conditions vont travailler  les demoiselles.

Bien l’impression que le contremaître est au courant de mon intérêt particulier pour Manou, il en profite le bougre. 

 

Nous venions de recevoir des nouvelles de tante Odette par téléphone, de mauvaises nouvelles évidemment, sinon elle n’aurait jamais dépensé une fortune en communications, la curiste avait glissé malencontreusement lors d’une randonnée pédestre et s’était faite une entorse à la cheville droite.

- Heureusement, c’était l’avant-dernier jour, naturellement, elle est bien incapable de prendre le train avec ses bagages, je vais devoir la récupérer à l’aéroport de Paris, veux-tu m’accompagner mon garçon ?

Une promenade en voiture, passe encore mais subir ma tante durant le retour, plus de trois heures de route, entendre ses jérémiades, répondre aux questions insidieuses qu’elles allaient me poser, non merci.

- J’espère qu’à notre arrivée, tu l’accueilleras gentiment, au moins, j’aimerais que tu fasses un effort, d’autant plus qu’elle doit souffrir.



24/04/2011
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