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Le moulin des ombres

Nous sommes invités à déjeuner sur la terrasse, nous acceptons.

 

- Vous avez profité du beau temps pour faire des balades dans la région, retrouver des endroits que vous avez fréquentés je suppose?

- J’ai fait quelques promenades aux bords des étangs.

- Ils abondent dans le coin.

- Jolies promenades mais la vision de l’eau m’angoisse à présent, je pense à papa, à Fabien, à mon enfance, plusieurs fois j’étais tentée de retourner à Lannois et à chaque fois je bifurquais avant de prendre la route, je n’ai plus le courage d’y aller seule.

- Si vous voulez un guide, j’accepterais cette tâche avec plaisir.

J’aiguillais Marianne sur son passé, essayant de savoir comment les Lemoine et les Mangoni coexistaient.

- La pire était Annie Girard, une fois elle avait tiré un coup de fusil de chasse sur les vitres de la menuiserie.

- Girard?

- Lemoine, la femme d’Yves, mon père l’appelait toujours Girard.

- Pour quelle raison ce coup de fusil?

- Avec le recul, je crois connaître la cause de ce mouvement de colère, j’avais une quinzaine d’années, j’étais curieuse comme toutes les gamines de mon âge, j’essayais de savoir chez qui se rendait mon père dans le village, presque chaque soir, depuis plusieurs semaines, bien rasé, douché, propre, je me doutais qu’il allait retrouver une femme.

- Et la voisine était jalouse.

- C’est une supposition.

- Et vous avez su qui était l’autre femme?

- J’avais quelques indices et par recoupement j’ai pensé à la fille du café.

- Mimi!

- Mimi? Micheline oui...vous êtes intime?

- J’ignorais le véritable prénom de la danseuse.

- Papa lui faisait des petits cadeaux.

- Des objets en bois.

Marianne éclate de rire.

- Vous alors, vous êtes un vrai confesseur, que dois-je vous avouer pour obtenir l’absolution...C’est vrai des petits meubles qu’il confectionnait avec plaisir, avec amour, j’aimerais  revoir Mimi, pour parler de papa.

Le beau visage s’assombrit à nouveau, sa bouche se pince.

- J’attendais des nouvelles de la gendarmerie, ils voulaient que je redescende dans le Gers mais je voulais attendre que cette triste affaire se termine, ils ne vont pas garder le corps de mon frère longtemps tout de même et puis je n’ai plus tellement envie de retourner dans le Sud-ouest.

- Votre ami?

- Il se moque de mes histoires, cela le fatigue, il devait me rejoindre, il trouve toujours un prétexte pour différer. Pour mon frère, tout concorde, il n’y a  aucun doute alors pourquoi cette attente?

- Il reste encore quelques points d’interrogation, quand il existe des signes particuliers, des traces d’interventions chirurgicales, des travaux dentaires, c’est plus facile.

- Fabien avait de bonnes dents, comme moi d’ailleurs, papa disait que c’est l’eau du puits qui nous avons donné de bonnes quenottes, elle contenait certainement du fluor, ce n’était pas à la mode à l’époque...et quelques dents plombées suffisent à une identification?

- C’est un renseignement précieux, les analyses actuelles sont très poussées, une simple fracture peut confirmer ou infirmer une identification.

- Fabien avait fait quelques chutes de vélo mais je ne me souviens pas de fracture effectivement, il était prudent, restant à bonne distance des machines à bois quand il allait voir papa à l’atelier.

Le repas se termine, la bavette à l’échalote était moyenne, les pommes dauphines pas terrible, voilà une table que je ne recommanderai pas. J’aurais dû emmener Marianne dans une auberge sympa.

La tarte aux pommes vient me contredire, la serveuse m’avait observé, elle venait me proposer une seconde part, j’acceptais son aimable proposition.

- Vous aimez les desserts, c’est ma spécialité, Vincent n’apprécie que les gros plats bien consistants, luisants de graisse.

- Vincent est votre...

- Ami, nous ne sommes pas mariés, heureusement, son comportement me déçoit, c’est dans les moments difficiles que l’on découvre les vrais sentiments, j’avais besoin de lui, il s’est défilé, je n’ai qu’une solution, le quitter.

- Ne le jugez pas trop vite, il est comme vous, il a eu peur d’affronter la mort, surtout dans de telles circonstances.

- Merci de vos bonnes paroles si vous étiez entré dans les ordres vous seriez évêque maintenant… Je vais suivre vos bons conseils, demain matin je reprends la route, je vais changer d’attitude avec Vincent, ne plus le couver comme j’ai trop tendance à le faire, c’est ce qui le rend un peu mou. Dois-je prévenir la gendarmerie de mon départ?

- Je m’en charge.

Je règle la note.

- A mon retour, c’est moi qui vous invite, promis ? mais pas ici, quelques bonnes auberges existent encore dans la région.

- Vous pensez revenir?

- Si l’homme est bien mon frère, naturellement, et Vincent montera avec moi cette fois, c’est son intérêt.

 

Les deux taximen sont toujours à la même place.

- Gérard est aux portes de la ville, il devrait se pointer dans quelques minutes, je viens de l’avoir sur sa radio.

La conversation est à nouveau axée sur les courses de chevaux, les histoires de cordes sur l’hippodrome, de poids des jockeys me ramène vers le moulin.

 Ce coup de fusil d’Annie Lemoine sur la menuiserie, je suis d’accord avec Marianne, un geste de femme jalouse, j’aimerais revoir la fameuse Mimi, elle m’avait menti, affirmant qu’elle n’avait pas été la maîtresse du menuisier.

Une Mercédès nous frôle.

- Vous auriez pu me dire que les gendarmes cherchaient à me joindre, la frousse au carrefour de la Cascade, j’ai cru qu’il allait me filer une contravention, j’étais passé à l’orange bien mûre.

J’attaque de front en posant la question.

- Interrogatoire aussi monsieur Laurent, je dois passer à la brigade après le casse-croûte, ils vont me montrer une photo du gars qu’ils ont retrouvé dans la rivière, voir si c’est bien celui que j’ai véhiculé.

- Un jeune homme brun?

- Oui, vous dire à quelle date exactement, c’était début janvier, je l’ai pris au moulin de Lannois et l’ai amené ici, à la gare, un type bien fringué, élégant et brun en effet. Il n’a pas moufté durant le parcours, j’avais essayé d’entamer une conversation pour passer le temps, bernique... oui... non... du bout des lèvres, rien de plus.

Quelques voyageurs sortent de la gare, aucun client pour les taxis.

- J’ai rendez-vous à quatorze heures chez les gendarmes, si voulez je vous rancarde à  la sortie monsieur Laurent.

- Je vous donne mon  numéro de téléphone... attendez, je pense à autre chose, je voudrais vous présenter quelqu’un.

- Vous m’accordez cinq minutes, je vais acheter un casse-croûte, je crève la dalle.

Je retourne à l’hôtel, Marianne est au salon, elle regarde les actualités à la télé.

- Il s’agirait de Fabien ?..une photo? une ancienne que je garde sur moi, la seule, où nous sommes ensembles, quand nous étions encore en bons termes, ne me regardez pas, je suis affreuse dessus, c’était il y a huit ans.

- Vous pouvez me la confier quelques instants, je voudrais la montrer à un chauffeur de taxi.

- Je vous accompagne si vous permettez.

Gérard tarde, j’examine la photo.

- Mais vous étiez déjà très jolie.

- Vous plaisantez, avec ces grands cheveux fous.

Ce n’est pas Fabien que je regarde, Marianne me rappelle une certaine jeune personne que j’ai eu le plaisir de découvrir récemment...voilà l’impression curieuse que je ressentais en déjeunant, et si Mangoni était le père de la délicieuse Mélodie? Les crimes n’ont que deux raisons d’être perpétrés, l’argent et l’amour.

- Oui, ce doit être lui, en plus jeune, mais la bouche, les cheveux, les yeux, je le regardais dans le rétro, j’ai l’habitude, c’est comme si je prenais une photo...

 

- Ils m’ont présenté une photo moins ancienne du gars en question, c’était encore plus flagrant que sur celle de la jeune femme

Gérard avait tenu sa promesse, il me rappelait en fin de journée.



25/03/2011
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