Un second souffle
Gisèle a ouvert sa grande salle, des tables ont été dressées, boissons et brioches à profusion; en quelques minutes, la pièce est envahit par une foule bruyante; les funérailles sont souvent l'occasion de retrouvailles; des groupes se forment, discussions animées, grands éclats de rire; nous sommes loin de la cérémonie austère et recueillie de tout à l'heure; je reste avec les Lenoir qui me présentent d'autres personnes, beaucoup me parle de mes parents, quelques anciens de grand-père; Marie-Louise va d'un groupe à l'autre, bavarde quelques minutes avec chacun; je ne la quitte pratiquement pas des yeux, elle est passée plusieurs fois dans notre secteur sans nous parler; serait-elle en froid avec mes comparses? j'ai mal choisi ma compagnie.
La salle se vide doucement, je vais prendre congé quand madame Dubois revient vers nous; je respire, elle bavarde avec Yvette et Yves.
- Je te présente monsieur Demoulin, son père était un ami de mon grand-père et de ton pauvre papa.
- Monsieur Demoulin, effectivement, avant qu'il ne perde la tète, papa me parlait souvent d'un Roger Demoulin, mais, depuis quelques années, il mélangeait tout, les dates, les gens, il n'avait plus la notion du temps; nous avons du nous rencontrer dans notre jeunesse, j'ai un vague souvenir de vous adolescent, lorsque je venais en vacances chez mes grand-parents.
- Vous croyez? je suis bien plus âgé et j'ai quitté ce village à l’âge de quinze ans.
- Je devais avoir dix ans quand vous avez quitté Hauréville, vous passiez souvent devant la maison de mon grand-père maternel, en vélo, un vélo de course, rouge si je me souviens bien
Ce n'est pas le moment ni le lieu pour faire des compliments à cette dame et puis nous sommes épiés et écoutés mais elle est loin de faire les cinquante ans avoués; j’espère avoir l'occasion de la revoir en tête-à-tête et de lui dire ce que je pense de son allure; sa voix aussi me rappelle celle de Capucine, en plus assurée; plus elle parle, plus je la regarde, plus je suis persuadé que ces deux femmes ont trop de points communs pour ne pas être apparentées; le père Manaux m'a mené en bateau, ou alors il était tellement ivre ce jour de chasse qu'il n'a pas fait le distinguo entre Louvier et Vignon, il a confondu les deux hommes; mais personne ne s'est aperçu de la ressemblance flagrante entre Capucine et Marie-Louise ? ils sont bigleux ces paysans.
Les récits concernant notre jeunesse commune me font plaisir à entendre, surtout évoqués par la douce Marie-Louise, me voici séduit, son tailleur bleu marine et son chemisier blanc agrémenté d'une bordure en dentelle ajoute une touche supplémentaire à son charme; je ferme à demi les yeux et il me semble la voir en robe d'été décolletée, tel que son double m'est apparu dans la cabane du cantonnier; ses cheveux relativement courts dégagent un cou à la peau transparente, par contre, je ne vois aucun grain de beauté sous l'oreille.
En effet j'avais un vélo demi-course et c'est vrai qu'il était rouge, je sillonnais les rues du village pendant les grandes vacances.
- Dans quel quartier était située cette maison?
- En haut de la côte Saint Pierre, face au tournant, c'est là que j'habite depuis mon veuvage, je suis revenu vivre dans mon village.
Cette fameuse côte que je gravissais de plus en plus vite, et si j'avais su que j'étais épié par une gamine attentive et certainement mignonne, je me serais surpassé.
- Tout en haut de la côte ? la maison à la grille verte?
- Voilà... vous voyez elle est bien située, nous avons une vue sur pratiquement toute la rue, d'ailleurs je vous ai aperçu plusieurs fois, ces dernières semaines, à pied et en voiture.
- Vous avez acheté cette maison?
- C'était celle de mes grands-parents maternels
- Monsieur et madame Peronnet.
- Exactement, vous vous souvenez encore du nom, vous avez bonne mémoire.
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