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Le moulin des ombres

Ce Norbert Lemoine pourrait être légitiment suspecté, un type solide, capable de porter une gosse meule, sachant où la trouver, tout comme la corde, j’appelle la gendarmerie.

- Vous nous suivez de peu, nous sommes arrivés à la même conclusion, seulement ce garçon est hyper protégé. D’après nos renseignements, il serait étonnant qu’un tel personnage puisse agir seul, il n’aurait pas l’intelligence de faire une mise en scène.

- Un exécuteur peut-être?

- Effectivement, soyez patient, nous vous tenons au courant...à l’occasion, apportez-nous la fameuse casquette que vous avez trouvée.

 

Au lieu de tourner à gauche, je me dirige vers le village, j’ai la gorge sèche et une envie de revoir la pétulante Mimi.

C’est une femme nettement plus âgée que Mimi qui bascule l’interrupteur afin d’éclairer  le comptoir, je reconnais la tôlière de l’an dernier. Elle ne se presse pas pour me servir, j’anticipe son geste, le verre présenté est nettement moins transparent que celui que Mimi m’avait  rempli, je prend la bouteille et bois au goulot. La vieille dame continue à me fixer intensément.

- Fait  vraiment  chaud aujourd’hui, m’étonnerait pas qu’un orage n’éclate avant la fin du jour, je le sens...Mais, vous êtes déjà venu à Lannois vous, vous ne seriez pas journaliste à la Gazette?

Je confirme, l’impact de notre quotidien est très important dans les campagnes, monsieur Magien se plaît à nous le rappeler, nous restons en bonne place car l’information locale prime pour ces gens, nos correspondants locaux font un travail de fourmi...d’ailleurs je dois contacter celui qui couvre Lannois avant qu’il ne se vexe.

- Ma fille m’a parlé de vous, vous êtes venu dernièrement, c’est rapport au pauvre homme repêché.

- Vous allez mieux?

- Merci, j’ai encore de belles années à vivre, le docteur me l’a promis, enfin de belles années, faut le dire vite, à mon âge que voulez-vous espérer... alors, à votre avis, le noyé serait le gamin d’Armand ?

- Ce n’est qu’une supposition mais effectivement, de nombreux points pourraient étayer cette hypothèse… Et  vos clients, que racontent-ils?

- Que les suicides sont quelques fois des crimes,  tenez, comme le pauvre Maurice l’an dernier, vous croyez que c’est lui qui mis le feu à la grange et qu’il s’est laissé griller dans la paille?

- Vous en doutez?

- Pour quelles raisons aurait-il fait une chose pareille, je vous le demande. Parce qu’il boitait? la belle affaire, il était habitué à sa boiterie, et puis comme c’était suite à un accident de voiture, qu’il n’était pas en tort, il touchait une bonne pension, une fois il m’avait dit combien, c’était pas rien. Quoi de mieux, de l’argent gagné à rien faire, la belle vie...et il avait les femmes qu’il voulait, vous pensez, avec des billets de banque.

- Et qui aurait eu intérêt à supprimer cet homme heureux?

- Si je le savais, c’est pas mes oignons.

 

Etonnant le contraste entre une brigade de gendarmerie au quotidien et la même recevant un officier, oubliés les histoires salaces, les rires bruyants.

- Vous aviez rendez-vous?

- Pas vraiment, si je pouvais voir le capitaine quelques minutes.

Gobert met du temps à revenir.

- Il accepte, il est de bonne humeur, venez.

 

- Vous m’apportez une casquette paraît-il?

- Important ce détail?

- L’homme qui rôdait dans les parages du moulin a peut-être des choses à se reprocher, cette casquette pourrait le confondre, le faire parler...asseyez-vous, nous avons des renseignements assez complets sur le fils Mangoni... figurez-vous que nos amis d’Interpol étaient à ses trousses.

- Il avait commis des actes graves?

- Escroqueries importantes, trafic d’armes, de drogue très certainement, sans aucun doute, un drôle d’oiseau.

- Sa mort va stopper toutes poursuites.

- Si nous prouvons que c’est bien lui qui se trouve dans nos frigos, oui. En tout cas, il n’avait pas intérêt à retourner au Canada, il aurait été cueilli  à son arrivée à l’aéroport...Mirabel…

L’officier est satisfait de son jeu de mots, je souris pour lui faire comprendre que…j’ai compris.

-Règlement de compte, sans doute, nous allons viser les échelons supérieurs de la délinquance.

- Vous m’accordez le droit de publier ces informations?

- Je vous l’accorde d’autant plus que demain les agences de presse seront informées,  vous aurez une avance de vingt-quatre heures, appréciable non?

La bonté du capitaine cache certainement quelque chose.

- La dame que vous avez rencontrée au square Verdi, que vous a t’elle apprit?

- Vous me filez, c’est rassurant.

Je lâche ce que je sais, à quoi bon jouer au chat et à la souris.

- L’épouse d’un professeur de Français à Bristol, nous allons solliciter nos collègues d’outre-manche.

- Et le petit cadavre, il vous a livré ses secrets?

- Pas encore, plusieurs laboratoires sont sur l’affaire, je vous le confirme, il nous faut déterminer la date approximative de la mort avant de lancer des recherches locales, c’est capital.

 

Heureusement que le reste de l’actualité est calme, l’affaire Mangoni occupe le terrain, la liste des méfaits de Fabien est impressionnante, il faisait partie d’une sorte d’entreprise spécialisée dans les magouilles de haut niveau. Quelques vagues comparses sont tombés mais les têtes ne sont pas identifiées et vont certainement passer à travers les mailles du filet de la police internationale, comme trop souvent.

                                                              

Me voici encore sur la route de Lannois, j’ai reçu une invitation de Roger Delvaux que j’assimile presque à une convocation. Habituellement je refuse d’accéder à de telles demandes impératives mais j’espère que le chirurgien esthétique et sa charmante épouse vont me tuyauter.

Le véhicule rouge est absent du parking, vais-je devoir affronter Zaza? Ce n’était pas prévu à mon programme. Mon ami à quatre pattes vient à ma rencontre, toujours animé de bonnes intentions. Pire, cet animal me saute au cou et macule ma chemisette, il sortait du jardin fraîchement et abondamment arrosé.

- Sultan, au pied.

Roger vient de sortir…

- Quel imbécile, voyez où mène l’amour des bêtes, ne frottez pas, ce n’est que de la terre, il faut laisser sécher, entrez monsieur Passy, merci d’avoir répondu favorablement à notre demande.

Le voyage aux Comores doit avoir eu de sérieux ratés, Isabelle fait manifestement la tête, elle me salue du bout des lèvres.

- Nous étions à cent lieux de penser que le noyé était Fabien.

- Comment vous connaissiez ce monsieur?

- Nous venions de faire  connaissance avec ce garçon sympathique.

- Fin décembre je suppose.

- C’est cela, il m’avait contacté par téléphone à la clinique, voulant me proposer la propriété de ses parents.

- Il avait changé d’avis, pendant longtemps il s’opposait à cette vente paraît-il.

- C’est ce qu’il m’a dit, mais il craignait que les Lemoine ne mettent le grappin sur ses souvenirs en cas d’accident et cette éventualité lui était insupportable.

- Il craignait un accident?

- Nul est l’abri d’un crash aérien,  il nous avait parlé de ses activités commerciales qui le promenaient dans tous les pays du monde mais ne pensions jamais qu’il s’agissait d’activités douteuses.

- Vous l’aviez rencontré ici?

- Non, à Paris, il était descendu dans un hôtel du seizième, proche de notre domicile parisien.

- Vous étiez disposé à acheter l’ancienne menuiserie?

- Oui, mais il me fallait attendre, je venais de racheter les parts de mon associé dans la clinique. Après les fêtes de fin d’année, il est venu nous saluer, ici même, avant de reprendre l’avion pour le Canada, nous nous étions mis d’accord pour reprendre contact vers le mois de septembre.

Durant le récit de son mari, Zaza semble être ailleurs.

- Son départ, à quelle date était-il prévu?

- Sa dernière visite date du sept janvier, le lendemain je partais pour Athènes, quatre jours, un séminaire.

- Il serait donc revenu à Lannois avant son départ.

- Naturellement puisqu’il se retrouve dans notre bief.

- Vous pourriez raconter votre histoire aux gendarmes.

- Nous voulons éviter ces messieurs, nous vous laissons le soin de les informer...autre chose, venez, je vous montre quelque chose d’intéressant.

Nous sortons sur la terrasse, la piscine est complètement vide.

- Vous voyez la trace.

Un liseré brun-rouge délimite le niveau antérieur.

- Une horreur à notre retour, l’eau toute rouge, du sang déversé, Zaza a perdu connaissance en découvrant cette infamie.

- Vous avez fait analyser l’eau?

- J’ai fait un prélèvement et l’ai confié à un ami biologiste, nous étions soulagés, il n’agissait pas de sang humain, c’était du sang de mouton. Quand je vous disais que nous étions à la merci d’un fou dangereux, qui sait ce qu’il va inventer la prochaine fois. Et vos amis les gendarmes qui estiment que ces dégradations sont insignifiantes, qui mettent le sabotage de notre ligne téléphonique sur le compte de gosses espiègles, ah ! nous sommes bien protégés.

 



17/03/2011
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