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L'araignée rouge

Je m’engage sur le pont, dès mon entrée dans St Jean, j’ai l’impression d’être dans un autre monde, quel contraste avec la rive gauche, la rue est étroite, la majorité des boutiques est fermée, je n’ai vu ouvertes qu’une épicerie, une cordonnerie et une droguerie, vestiges d’une autre époque. Je traverse une place, sans arbre et m’engage dans la rue principale qui monte vers la sous-préfecture. La circulation est fluide mais de nombreux feux tricolores ralentissent les véhicules. Je tourne à gauche et arrive sur une grande place, c’est le cœur de la ville, elle est bordée de maisons bourgeoises dont quelques-unes sont anciennes et de commerces abrités par des arcades. Au centre une fontaine et un bassin, encerclés par des voitures en stationnement, je trouve difficilement un endroit pour me garer et n’oublie surtout pas de prendre un ticket, les policiers municipaux sont toujours en maraude.

Mon but, c’est le bar de la Lanterne, situé en peu en retrait de la place, il est fréquenté par différentes catégories de personnes suivant l’heure ; comme le « tout » St Jean s’y rencontre, j’aimerais que quelques personnes importantes sachent que je tourne dans leur ville, le meilleur moyen de les débusquer.

Je vais provoquer, c’est une évidence et je prends le risque d’entendre des réflexions désobligeantes.

Une dizaine de paires d’yeux me fixe dès mon entrée, en réponse à mon salut, c’est le silence ou presque. Personne au comptoir, les clients sont regroupés sur les tables du fond, des joueurs de cartes et des spectateurs.

Je m’installe en face, le barman se précipite vers moi, je commande et il revient aussitôt en ayant soin de me tendre la note, je dérange, c’est évident.

Les clients parlent en sourdine, jettent des coups d’œil dans ma direction. J’en fais l’inventaire, ils ont dans les quarante à soixante ans, parmi les joueurs, un costaud a gardé son chapeau sur la tête et je le reconnais, c’est un employé municipal, colleur d’affiches au moment des élections et gorille du maire à l’occasion.

Lui aussi m’a identifié et il me le fait savoir.

-Tiens ! Un as de la plume… de pique mais pas de cœur !

Il ponctue cette phrase d’un ricanement saccadé, ses comparses pouffent comme des imbéciles.

J’essaye de prendre un air détaché, le regard fixé sur un calendrier où s’exhibe une demoiselle très déshabillée.

-Pour les filles, c’est un peu tôt… Et puis elles sont difficiles nos gonzesses, elles ne fréquentent pas n’importe qui.

Je ne réagis pas, termine mon verre de coca et en commande un autre.

Le costaud se calme, il doit se rendre compte que ses sarcasmes ne m’impressionnent pas, je me lève et quitte cet établissement sans me presser.

-Salut l’Amerloque ! me crie le gros.

La Clio est en bon état ; près de la fontaine, des gamins jouent. Ils se moquent de moi car je ne trouve pas la bonne clé pour ouvrir la voiture, entre celle du coffre, la clé de contact et d’autres qui n’ont rien à faire dans ce trousseau, il y a de quoi hésiter, si un flic me voit, il va croire que j’ai l’intention de voler le véhicule.

A peine installé, j’entends un bruit d’impact contre la carrosserie, un caillou certainement lancé par l’un des moqueurs, les jeunes aussi détestent les étrangers.

Les nombreux sens interdits me font tourner dans la vieille ville, je passe à côté d’une église fortifiée remarquable, si la Municipalité de St Jean avait la fibre touristique et mettait sa ville en valeur, elle recevrait des visiteurs.

Je me trompe de rue, je dois continuer jusqu’au bout pour revenir dans  la rue du Canal. Je passe entre des  terrains vagues, des ateliers abandonnés, puis sur la droite les premières habitations, un garage encore en activité. Je reconnais à gauche, le talus où était caché le scooter de Karine, puis à droite le chalet de Jacques Vallon, d’autres maisons individuelles et j’arrive au chemin qui mène à une écluse, celle où le corps de Karine Chaloux a été retrouvé, où le père de Sylvain a été tué. Je me gare devant la maison de l’éclusier, ses volets sont fermés, il y a de moins en moins de passage sur le canal et l’écluse est automatisée maintenant.

Jacque Vallon a pris la balle derrière la tête, sans aucun doute il regardait vers la rive, mais laquelle, si le tireur était à sa droite, il devait être posté au premier étage d’une maison délabrée, la seule habitation relativement proche, c’est d’ailleurs la version retenue. Sur l’autre rive, il pouvait être dans l’une des maisons qui bordent la rue, elles ne sont pas très éloignés du canal, à part le chalet de la victime, elles ont deux niveaux.

Je franchis la passerelle de l’écluse en passant au-dessus d’une barrière, c’est ce raccourci qu’empruntait Karine pour rendre visite à sa grand-mère, ses parents habitent une villa à flanc de coteau, dans le quartier résidentiel de la ville.

La bâtisse d’où serait parti le coup de feu est toujours là, je suis tenté de monter à l’étage mais l’escalier me semble en mauvais état. J’imagine la scène, le bateau en approche de l’écluse, le capitaine à la barre, à quelle hauteur était-il, ce serait intéressant de voir si d’en haut, le tireur pouvait apercevoir  Jacques Vallon et le toucher à la tête ? Le mieux serait de reconstituer les conditions, avec un bateau, je vais le suggérer à Sylvain.

Un fourgon de la gendarmerie bloque ma voiture.

-C’est à vous ce véhicule ?

-Je suis en stationnement interdit ?

-Vous êtes sur un terrain appartenant à l’Etat, un panneau l’indique à l’entrée, et vous venez de l’autre côté, le franchissement de la passerelle est interdit, vous êtes passé au-dessus de la barrière, vous êtes en infraction.

C’est le moment d’expliquer ma présence à cet endroit.

-Journaliste ou pas, ce qui interdit pour l’un est interdit pour l’autre, et que cherchez-vous de particulier ici?

Inutile de me lancer dans une explication qui risque d’être mal comprise, il me faut mentir.

-Je fais un reportage sur le canal, les écluses et la circulation fluviale de notre région.

-Il fallait demander une autorisation à la sous-préfecture, vous devriez le savoir en tant que journaliste.

J’avoue que j’ai commis une erreur.

-Vous avez de la chance de tomber sur nous, les policiers municipaux vous auraient verbalisé, allez circulez.



22/12/2011
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