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Les yeux de la lune

Ce roman est une fiction, mais je me suis inspiré de quelques souvenirs, de personnages et de lieux ayant réellement existé.

Nous sommes en 1940, au début de la guerre, le narrateur vient d'avoir treize ans.

 

 

Les yeux de la Lune

 

- Les vitres de la cuisine vont tomber si cela continue.

Maman se lamentait, depuis l'aube, des convois de véhicules militaires circulaient  sans interruption sur la route nationale, malgré la distance, un bruit assourdissant résonnait dans notre cour, les carreaux vibraient.

- En tout cas, avec une telle armada, les Allemands seront refoulés avec pertes et fracas, s'ils ont seulement le culot de franchir nos frontières

Tante Simone et son optimisme habituel n'ébranlaient pas les affirmations de grand-père.

- Ne rêve pas ma fille, cette fois nous risquons d'être débordés, les moyens mécaniques ont fait d'énormes progrès, l'aviation aura un rôle primordial dans cette maudite guerre, les Allemands sont bien mieux équipés que nous, et puis ils ont un braillard à leur tête, ils sont fanatisés.

Le petit homme aux cheveux coupés en brosse et à la moustache drue mais toujours  bien taillée avait vécu Verdun et son enfer en 1916, il connaissait la détermination de l'ennemi.

- Mais voyons papa, les Allemands sont des gens civilisés, des chrétiens, quand ils vont s'apercevoir que leur Hitler n'est qu'un nabot malfaisant, ils vont le destituer, la guerre ne durera pas longtemps.

Grand-père Louis haussait les épaules et quittait la pièce, c'était sa façon de couper court à toutes polémiques. Combien de fois avait-il battu en retraite devant sa fille qui, malgré une apparence aimable  voulait toujours avoir raison.

- Ton mari devra avoir une sacrée dose de patience pour te supporter.

- Un mari ? Ce n'est pas dans ce village de paysans demeurés que je pourrai en choisir un.

Je trouvais tante Simone jolie et je n'étais pas le seul, elle était également cultivée, avait fait des études secondaires, elle avait même obtenu le  baccalauréat, ce qui dans le village était considéré comme un sommet d'intelligence. Elle venait d'avoir vingt trois ans et ce ne sont pas les prétendants qui lui faisaient défaut mais elle était difficile la demoiselle.

- Et puis maintenant avec cette guerre, la mobilisation, il ne reste plus que des minus et des estropiés.

La guerre ! Ce mot était sur toutes les lèvres depuis quelques semaines, à la maison, à l'école, chez les commerçants, dans la rue. Presque tous les hommes du petit village de Brécourt avaient été mobilisés, les bruits les plus alarmistes couraient, même la fameuse ligne Maginot était décriée, grand-père faisait partie des sceptiques.

- Un beau gaspillage,  nous en reparlerons d'ici peu.

Pour le moment, la guerre annoncée n'avait aucune incidence dans la vie de notre famille, grand-père avait passé l'âge d'être mobilisable et mes treize ans et demi me laissaient de la marge.

- Qui sait, si le conflit dure plusieurs années, Christophe risque d'être appelé sous les drapeaux.

Maman s'offusquait en entendant de telles déclarations.

- Nous avons suffisamment donné à la nation.

Une telle phrase provoquait toujours un grand silence dans la maisonnée, l'évocation de la mort de mon père, même à demi mots avait toujours le même impact.

Mon père ! Je venais d'avoir trois ans quand il avait été victime d'un tragique accident d'avion, si j'avais peu de souvenirs de lui vivant, je connaissais les circonstances du drame et presque tout son passé.

- Dire que dans sa profession d'ingénieur des mines, il risquait d'être enseveli sous terre et c'est dans les airs que la mort le guettait.

Officier et pilote réserviste de l'armée de l'air, mon père s'était écrasé avec son appareil lors de manœuvres au-dessus des Alpes. J'avais entendu avec effroi parler de son corps disloqué qui n'avait été retrouvé que dix jours après l'accident, au fond d'une crevasse, chaque visite sur sa tombe me glaçait, je tentais vainement de chasser de mes pensées l'image de morceaux humains mis pêle-mêle dans un cercueil.

Les souvenirs de ma petite enfance étaient surtout constitués de clichés furtifs parmi lesquelles  figurait en bonne place la maison où nous habitions, une grande maison de briques rouges, avec un beau jardin fleuri. Je me souvenais aussi de ma chambre mansardée, de quelques jouets dont un ours en peluche presque aussi grand que moi…mais ce doit être une photo qui me le rappelait. 



15/01/2013
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