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Le moulin des ombres

La journée s’annonce mouvementée, une explosion dans un immeuble, le gaz en cause, une femme tuée, mais, d’après les voisins elle avait un tempérament suicidaire et ce drame ne serait pas un accident. Le  désespoir de cette locataire aurait pu entraîner la mort d’autres personnes, le gaz reste un danger permanent dans nos villes, heureusement que cette fois, à part la désespérée, le bilan est léger. Tout de même beaucoup de dégâts et nos amis de la télévision  ont filmé l’immeuble sous toutes ses fissures.

Revenant de la rue de Louvois et de son nouveau tas de cailloux, je file en grande banlieue pour un accident de chemin de fer, un wagon-citerne en fâcheuse posture sur un pont enjambant un canal, un risque majeur de pollution car la cuve est remplie d’un produit chimique dangereux. Mon copain Benoît est déjà à l’œuvre avec son  matériel de parfait photographe.

- Tu attends que le wagon bascule pour le prendre en flagrant délit de chute.

- Sans le souhaiter mais quand la citerne sera vidée, c’est possible, tu vois le cliché.

Le photographe vedette de la maison est toujours à l’affût de photos sensationnelles, un peu fantasque, c’est tout de même un bon copain et je peux compter sur lui.

- Les photos de l’immeuble en ruines, tu les as vues avant de partir?

- Non, mais je te fais confiance et je compte sur toi pour les légender.

Benoît en sera pour ses frais, les pompes ont rapidement vidé la cuve pendant qu’une grue maintenait le wagon en bonne position et tout rentrait rapidement dans l’ordre.

 

Je recevais un coup de fil de Gobert, comme je m’y attendais, il voulait me prévenir qu’il avait retrouvé le chauffeur de taxi. J’avais bien recommandé à Gérard de taire notre entretien, il m’avait écouté.

- C’est bien le dénommé Fabien Mangoni qu’il a pris au moulin, il l’a reconnu sur une photo, reste à savoir si son client est monté dans le train, à notre avis, c’est peu probable, il a dû faire une rencontre à la gare.

- Une mauvaise rencontre.

-  Et Marianne qui voulait quitter Saint-Julien, vous aviez réussi à la persuader je présume; après le témoignage du chauffeur de taxi,  nous lui avons demandé de rester, le capitaine Verlet voudrait mettre un terme à cette pénible attente, les preuves sont suffisantes, et puis Interpol sur ses talons est une contrainte qui lui donne des boutons, des crampons ceux-là... nous attendons la décision du juge d’instruction, elle ne saurait tarder...si vous êtes dans les parages demain après-midi passez à la brigade, entre temps, nous aurons accompli quelques missions,  rendre la casquette à son propriétaire et faire signer une déposition aux époux Delvaux.

 

J’aurais aimé être flic, je me mets à la place d’un enquêteur dans cette affaire, l’assassinat d’Armand Mangoni est pratiquement prouvé, le menuisier veuf était l’amant d’Annie Lemoine, la ressemblance entre Marianne et Mélodie est flagrante. Le coup de fusil de la fermière était précurseur d’une colère aux conséquences plus graves encore, Mangoni l’infidèle, l’amant de Mimi  a été retrouvé dans l’eau, une corde au cou, mais il avait peut-être une volée de plombs dans le buffet, l’état du cadavre ne permettait pas de le constater, et puis le suicide était tellement évident, les enquêteurs de l’époque n’ont pas  cherché plus loin. Après la mort, une mise en scène, l’aide de Norbert le surhomme pour transporter menuisier et meule au bord du chenal et balancer le tout dans la baille. Et Fabien? lors de son séjour à Lannois, il découvre des indices et subi le même sort que son père. Un peu mince comme raison...autre version, coïncidence peut-être, des malfrats sont sur ses trousses, ils ont trouvé une planque dans l’ancienne menuiserie, l’idée de la corde et de la meule leur vient à l’esprit sans imaginer qu’ils ont eu des prédécesseurs, ils interceptent Fabien à la descente du taxi, le frappent à la tête et le ramène dans la vallée de la Livette. Finalement je préfère mon job, je ne suis pas enserré dans des carcans et mes supérieurs me laissent bosser à ma guise, j’ai juste quelques règles à respecter, avec l’habitude cela ne pose plus aucun problème. Et puis je peux broder, enjoliver, noircir ou mettre de la couleur, gommer, glisser quelques pointes d’humour, jouer avec les mots. J’attends que l’on me fournisse des matériaux pour construire mes articles mais je peux aussi être un chercheur, gratter au bon endroit pour découvrir des indices, ma vision panoramique est un atout et, en supplément, j’ai une veine légendaire.

 

Les visiteurs de la gendarmerie doivent se débrouiller pour trouver une place de parking, les places libres sont rares dans le quartier, habituellement je me colle en bout de zone, à cheval sur la partie zébrée, mon macaron me protège contre les velléités des gendarmes et, pour ne pas froisser les susceptibilités, les policiers évitent le quartier. Cette fois, ma place habituelle est prise, tant pis j’entre dans la cour, elle est vaste et les possibilités de garer sont multiples.

- C’est interdit aux véhicules civils monsieur...ah! c’est vous, pas de dérogation aujourd’hui nous avons du beau monde.

- La capitaine Verlet?

- Oui et monsieur le Juge.

- Du nouveau?

- Vous savez, je ne suis qu’un simple brigadier, les grandes nouvelles je les apprends dans votre journal, comme tout le monde.

Je sors, le véhicule gênant a quitté son stationnement, je peux prendre sa place.

Deux voitures me croisent, le juge et le capitaine Verlet quittent la gendarmerie.

 

- Ouf! deux heures avec ces bourreaux de travail, c’est pénible.

L’adjudant Gobert est rouge à éclater, il éponge son front en sueur, heureux de retrouver le confort de son fauteuil et sa position de supérieur.

- Par quel bout commencer, par notre petite cuisine commune, mais inutile d’en faire un plat dans la Gazette Républicaine...involontaire je vous assure, à force de vous fréquenter.

Sur le plan des jeux de mots et autres, je me suis assagi, je devenais chiant et je m’en suis rendu compte.

- Vous avez vu les Lemoine et les Delvaux je pense.

- Exact, je vous donne tout dans le désordre, à vous de faire le tri...tout d’abord le sang dans la piscine des Delvaux, une explication plausible, un mouton égaré et blessé dans les barbelés près du moulin que Norbert a eu la mauvaise idée de vouloir nettoyer dans la grande baignoire, seulement la pauvre bête est morte noyée, c’est Arnaud qui nous a raconté cet épisode. Le pauvre Norbert que vous avez surpris dans les parages du moulin avait l’intention de nettoyer la piscine, il s’était rendu compte de sa boulette.

- Les Delvaux portent plainte?

- Non, ils passent l’éponge sur ce fait... par contre, ils ont d’autres problèmes graves, ils reçoivent des visites nocturnes, une sorte de fantôme qui frappe aux carreaux, qui pousse des cris atroces, qui marche sur le toit, vous imaginez le tableau?

- Encore Norbert?

-Norbert ? m’étonnerait, c’est une armoire à glace mais sûrement pas un acrobate...c’est particulièrement la sœur de Roger qui souffre de ce cirque, elle est dépressive et ces actes n’arrangent pas son état.

- Je l’avais entrevue?

- Je n’ai pas eu ce plaisir, elle était alitée lors de notre visite, elle dort mal vous imaginez, un revenant qui vient faire son footing chaque nuit sur les toits.

- Et que vous ont-ils raconté concernant Fabien?

- Ce que vous m’aviez confié, rien de plus, par contre, du côté des Lemoine, beaucoup de choses, ils savaient que le fils Mangoni était dans les environs début janvier, ils n’avaient rien dit pourtant. C’est Norbert qui l’avait repéré, il épie en permanence les faits et gestes des voisins, c’est son seul plaisir.

- Madame Delvaux sortant du bain par exemple.

- Pauvre garçon, c’est la première fois que je le vois aussi longuement, c’est difficile à supporter, il pourrait tourner des films d’horreur sans être maquillé. Il m’a tout de même donné quelques tuyaux intéressants, affirmant qu’un autre homme était présent en même temps que Fabien, quand  il y avait de la neige affirmait-il. Renseignement pris aux services de la météo, une petite couche de neige recouvrait Lannois et sa région durant la deuxième semaine de janvier. Seulement, il n’a jamais vu les deux hommes ensemble et il se pourrait que ce soit toujours  Mangoni, vêtu différemment ou sous un autre angle, c’est une supposition car ce drôle de garçon doit avoir une mémoire visuelle exceptionnelle. Je dois vous dire qu’il vous a aperçu avec Marianne le jour où il a perdu sa fameuse casquette, il a détalé quand vous êtes arrivé et il revenu se planquer à proximité quand vous êtes entré dans la maison avec la jeune femme, il nous a décrit parfaitement une scène, vous allez me dire si il n’a pas inventé.

Gobert me parle de notre pause sur le parapet.

- Quand vous nous traitez de pisteurs collants, il y a nettement mieux.

- Le fantôme, c’est  peut-être lui tout de même?

- D’après sa mère, il a peur de la nuit, il s’enferme à double tour dans sa chambre et dors avec une lampe constamment allumée.

- Vous êtes retourné chez les Delvaux pour connaître leurs sentiments sur la présence d’un autre homme?

- Non, nous ne pouvions revenir une seconde fois, mais vous qui êtes fouineur et bien dans leurs papiers, pourriez-vous nous rendre un service, le capitaine le suggérait, vous rendez visite à vos amis et vous essayez de les coincer sur le sujet. Il ne faudrait pas tarder, lundi prochain le professeur reprend ses activités rénovatrices, madame reste encore quelques semaines, tant que les rosiers sont bien fleuris, la belle-sœur aussi.

- La belle sœur est en  fleur?

- Il vous arrive de faire des fautes de syntaxe, je vais vous mettre quelques-uns de vos articles sous le nez.    



27/03/2011
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