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Le Bois aux Loups

Je déteste les répondeurs, que ce soit pour communiquer ou pour recevoir. Parler dans le vide est un exercice difficile pour moi, écouter un message trop souvent inaudible est énervant, il faut parfois le réécouter pour comprendre, et que dire d’un numéro de téléphone débité trop rapidement, ce qui occasionne des quiproquos désagréables! Le message que je viens d’écouter est clair et parfaitement énoncé, une belle voix d’aéroport.

« Mon nom est Carole Bartin, j’habite à Charville, j’aimerais vous rencontrer monsieur Passy, où vous voulez, soit à votre bureau, soit chez moi, merci de me rappeler dès que possible au numéro… »

Une telle voix m’oblige à rappeler immédiatement, puisque j’ai le choix, je préfère me déplacer, surtout en ce moment, durant deux longues semaines, j’étais tenu à assister à un procès d’assises des plus lassants, avec un président hésitant et inaudible, un avocat de la partie civile claironnant, celui de la défense vindicatif et un accusé amorphe, j’avais souffert pour écrire des articles cohérents dans la Gazette Républicaine. Autre motif favorable, le bourg de Charville est situé dans un secteur agréable, une petite promenade à la campagne aux premiers jours du printemps, c’est excellent pour la santé et le moral.

Et puis, il faut le dire, Bartin et Charville associés, cela m’interpelle, Carole ne peut être que la veuve d’Yves Bartin, ancien footballeur professionnel, décédé l’an dernier à l’âge de quarante-deux ans, victime d’un accident domestique, électrocuté en maniant une petite machine électrique. Cette triste affaire avait remué tous les footballeurs de la région et non seulement, cette disparition avait eu un écho international. Yves, originaire du département, avait chaussé ses premiers crampons  dans un petit club, puis, repéré par un agent au flair infaillible, il avait  joué dans des équipes de première division en France, également en Angleterre, en Italie et en Espagne dans des clubs prestigieux. Il avait porté plusieurs fois le maillot de l’équipe de France au poste d’ailier-droit et marqué de nombreux buts, ses corners étaient particulièrement travaillés, combien de gardiens avaient été surpris de la trajectoire. Il était resté dans le milieu du football, devenant entraîneur, avait émigré aux Etats-Unis avant de revenir en France. Depuis son retour, il était sollicité pour entraîner des équipes de première division et il n’avait que l’embarras du choix, on parlait même de lui pour entraîner l’équipe nationale.

Marié à Carole, une amie d’enfance, ils avaient construit, à Charville, une magnifique demeure entourée d’un grand parc.

Lors de ce dramatique accident, ce sont mes collègues du sport qui ont été envoyés sur place, je me suis contenté de relater l’événement à partir de renseignements fournis par la gendarmerie mais, à la demande du patron, quelques jours après le drame, j’avais tout de même écrit un article de fond, m’étais rendu à Charville sans rencontrer Carole Bartin car elle était à Paris pour régler ses affaires, je lui avais parlé au téléphone. Avec l’accord de la gendarmerie de Charville, accompagnés de deux gendarmes, Benoît mon photographe et moi avions visité l’atelier où s’était produit le drame, un atelier qu’Yves avait fait construire en annexe de sa villa et dans le même style, en pierre de taille et couvert d’ardoise. Adorant bricoler, il possédait de nombreuses machines à bois fixes et portatives, ainsi que d’autres outils pour percer, meuler et polir, le piètre bricoleur que je suis étais émerveillé en découvrant sa panoplie, Benoît ne l’était pas moins,  c’est un pro du bricolage et il ne comprenait pas comment Yves Bartin avait été foudroyé par une décharge électrique en utilisant une scie circulaire portative alors que la machine était neuve et parfaitement isolée.

-Normalement le disjoncteur aurait dû remplir son rôle, les pompiers ont été obligés de couper le courant, c’est anormal.

Le rapport de l’expert en électricité était formel, aucune anomalie n’avait été décelée dans l’installation, elle était aux normes, la prise de terre était correcte, le jour de l’accident, le sol n’était pas humide, Yves portait des chaussures à semelle caoutchoutée. D’autre part, la victime n’avait aucun problème cardiaque, il faut croire que la malchance était au rendez-vous ce jour-là.

C’est Brigitte Boquet, l’employée de maison du couple qui avait découvert la victime allongée sur le sol en ciment, madame Bartin l’avait envoyée aux nouvelles, Yves tardait à revenir, la demoiselle a eu la présence d’esprit de ne pas le toucher avant l’arrivée des Sapeurs-pompiers.


02/06/2012
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