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La nymphe vengeresse

Martine est surprise de me voir dévorer à belles dents le poulet qu’elle vient de sortir du four.

- Je pensais faire deux repas, te servir les restes demain avec une mayonnaise, je constate que les promenades sylvestres ouvrent l’appétit, ne m’en propose jamais surtout.

Comme la plupart de nos compagnes, Martine surveille son poids alors qu’elle est loin d’avoir des kilos superflus, impossible de lui faire comprendre que quelques petites rondeurs ne sont pas pour nous déplaire, non, il faut ressembler aux mannequins à la mode.

- Je dois pouvoir entrer dans les robes que je présente en vitrine.

Il est vrai que madame dirige un magasin de prêt à porter haut de gamme, que sa clientèle a les moyens de passer, si le besoin s’en fait sentir, entre les mains de chirurgiens esthétiques.

 

Je retourne à Mauzieux, j'avais pris rendez-vous avec l'ancien instituteur.

Monsieur Mathieu habite une jolie maison entourée d’un jardin d’agrément, de grands sapins bordent un côté.

- Heureux de vous revoir monsieur Passy, autant vous prévenir de suite, je ne partage pas l’opinion de monsieur le maire, pour moi les trois décès sont bien consécutifs à des accidents, la concordance des lieux ? une coïncidence tout simplement, dans une commune de notre importance, le nombre des accidents mortels oscillent entre trois et huit par an, c’est vous dire que cette année, nous sommes à peine dans la fourchette, la forêt est dangereuse, un tracteur forestier qui se retourne, un arbre qui tombe où il ne faut pas, et je ne compte pas les accidents de la circulation qui deviennent en quelque sorte des sacrifices obligatoires sur l’autel de la déesse automobile.

- Monsieur Garassaux n’est pas le seul à émettre des doutes.

- Je sais mais ce n’est pas une raison pour se lancer dans une sorte de chasse aux sorcières.

- Les histoires de nymphettes courant dans les sous-bois ?

-  Balivernes destinées à endormir les marmots et à faire fantasmer les grands enfants.

- Vous n’êtes pas originaire du coin.

- Je suis Normand et mon épouse Bretonne, c’est vous dire, nous voulions quitter cette région où nous n’avons aucune racine et, curieusement, nous sommes restés, comme ancrés dans cette terre humique. Nos petits-enfants sont heureux de venir passer leurs  vacances ici, la forêt, les grands espaces, l’air pur, cela les change de la vie infernale de la banlieue Parisienne.

- Vous connaissiez les trois victimes, Albert Garassaux bien entendu.

- Albert ? son fils est le même sur le plan des opinions politiques, hérédité, atavisme que voulez-vous.

- Opinions politiques qui ne sont pas les vôtres, vous me l’aviez confié lors de notre première rencontre.

- Exact mais je change un peu d’optique, j’avoue que je deviens de plus en plus apolitique,  la gauche véritable existe t’elle encore ?  Les parlementaires se comportent tous de la même manière, qu’ils soient d’un bord ou d’un autre, ce qui les intéressent surtout, ce sont leurs privilèges, si nos révolutionnaires de 1789 revenaient sut terre, ils seraient déçus...

Je n’entre jamais dans une conversation politique, je n’ai jamais dévoilé mes tendances, d’ailleurs je reste libre de ma pensée et m’intéresse plutôt aux hommes... et aux femmes qu’aux partis politiques.

- Question direction de la mairie et de la scierie, c’est différent, le père était autoritaire, absolu, il ne tolérait aucune remarque, Julien est plus réceptif, il sait écouter mais risque d’être influencé par quelques fortes personnalités qu’Albert avait réussi à mettre  sous l’éteignoir.

- Monsieur Garassaux père était veuf depuis plusieurs années.

- Vous permettez monsieur Passy, j’ai pour règle de ne jamais m’occuper de la vie privée d’autrui, adressez-vous à d’autres pour recueillir des ragots...André Lemarquis a été mon élève avant de partir au collège, un garçon un peu nonchalant mais intelligent et puis il avait été dressé et initié par son père et son oncle, deux grands maîtres ébénistes, spécialistes de la marqueterie.

- Son accident ? d’après son épouse, c’était un homme prudent.

- C’est vrai, mais la fatalité.

- Revenons un instant à l’ancien maire, je suppose qu’il avait des ennemis.

- Des adversaires oui mais des gens respectueux de la démocratie.

- Le bûcheron ?

- Fernand, je le rencontrais surtout au dépouillement, le soir des élections, dans les années 60, c’était un communiste pur et dur, un stalinien convaincu et têtu, plus tard, il avait mis de l’eau dans son vin rouge, comme beaucoup de ses camarades... qui aurait eu envie de supprimer ce brave type.

- Vous ne croyez donc pas à la malédiction qui frapperait Mauzieux chaque siècle depuis 1097 ?

- Laissez-moi rire, j’ai compulsé les archives du bourg, effectivement, en 1897, un glissement de terrain avait provoqué la mort de treize personnes, j’ai connu des témoins de cette catastrophe quand j’étais jeune instituteur, des pluies abondantes et continues avaient rongé la colline, quatre natifs de Mauzieux avaient péri, les autres étaient des bûcherons logés dans une ancienne bergerie. Ce que les indigènes veulent oublier, c’est que quatre plus tard, un autre endroit de la colline a subi le même phénomène, entraînant la mort de dix personnes. Quant au tremblement de terre de 1797, effectivement les archives départementales le mentionne mais sans préciser si il y eu des victimes ce qui laisse supposer que non. Concernant les siècles précédents, les épidémies, massacres et compagnie sévissaient partout...Deux mots sur la nymphe des bois que je dénommerai plutôt naïade, cette jolie femme aux cheveux dorés qui gambade dans les ronces en tenue d’Eve et qui se cache au fond de la fontaine.

Les yeux de l’instituteur en retraite brillent, on peut être un radical-socialiste rigide et aimer la... nature.

- Il s’agirait du fantôme d’une jeune femme, c’était la fille du seigneur des lieux, elle aurait été violée, étranglée et atrocement mutilée par un groupe de manants le lendemain même de ses noces, elle apparaît une fois par an, le jour du 15 août mais elle n’est pas visible aux descendants de ses agresseurs, autant dire presque tous les Mauziais, il faut être étranger pour avoir ce plaisir.

- Et vous n’avez jamais tenté votre chance.

- Foutaises... mais revenez donc le 15 août prochain, si vous voulez, nous irons à la fontaine ensemble.

Monsieur Mathieu rit grassement.

- Avez-vous bu de l’eau de la source ?

- Elle me semblait un peu fraîche.

- Elle aurait des vertus aphrodisiaques, encore des bêtises d’adultes attardés. Elle aurait aussi le don de rendre fécondes les femmes stériles, il paraît qu’au dix-huitième siècle, cette croyance subsistait encore, la dame devait se tremper toute nue dans la fontaine, ne pas s’essuyer, se sécher au soleil. Neuf mois plus tard, la baigneuse accouchait, histoire vraie.

- Une explication  à ce miracle ?

- Je pense que les pensionnaires d’un monastère voisin donnaient un petit coup... de pouce au destin, près de la source se trouvent des grottes dans lesquelles les moinillons venaient se recueillir et prier. Ces saints hommes étaient potiers, vignerons, verriers mais aussi joyeux lurons, les ablutions des Mauziaises devaient être suivies de galipettes fructueuses... vous n’êtes pas sans savoir que pendant des siècles, l’absence de descendance incombait toujours aux femmes, les mâles n’admettaient jamais leur stérilité.

- Et les hommes étaient probablement complices.

- Je vous rejoins, l’honneur était sauf et puis un apport de sang neuf dans la commune, tout bénéfice. Encore maintenant des blagues subsistent, quand un homme perd ses cheveux sur le haut du crâne et que cela ressemble à une tonsure, les gens disent que sa mère a trempé son cul dans la fontaine.

Mon interlocuteur aurait tendance à s’enliser dans la gauloiserie, je dois le remettre dans le droit chemin.

- Donc, pour vous, les trois morts sont accidentelles.

- Vous imaginez, quel Mauziais serait capable de faire de telles mises en scène ?... une femme à la rigueur.



14/10/2011
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