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Les yeux de la lune

L'annonce du décès de mon arrière grand-mère ne me causait qu'un léger chagrin et je craignais plutôt pour grand-père Emilien. En revenant des obsèques, maman avait essayé de me rassurer mais elle n'avait pas réussi à retenir une larme et ses explications étaient pour le moins contradictoires.

- Si nous avons une belle journée comme cela arrive parfois en hiver, Edouard pourra te conduire à Ligneulles, papa était déçu de ne pas te voir.

 

Nous nous étions attardés et il commençait à pleuvoir, une pluie fine et glaciale.

Grand-père avait été heureux de ma visite, je l'avais trouvé en bonne forme, seulement, comme Edouard, j'étais persuadé qu'il avait voulu nous faire bonne figure.

- C'est du vieux bois, même usé, ça tient le coup, mais quand une saloperie de maladie s'infiltre, c'est comme les termites, ça ronge l'intérieur.

 

La moto avait des hoquets en montant une côte puis elle calait.

- Merde, nous v'la en panne.

Nous traversions le bois des Chênes, il nous restait environ dix kilomètres à parcourir.

- Une saleté dans le carburateur, faut trouver un abri pour réparer...il doit y avoir un chalet de chasse dans le coin il me semble.

Edouard avait raison, un peu en retrait de la route, nous découvrions une sorte de baraque ouverte à tous vents.

 

- Oh ! pardon.

Une ombre se profilait dans le fond de la cabane, je reculais.

- N'ayez aucune crainte, je m'abrite de la pluie.

L'homme n'était certainement pas un bûcheron, sa façon de s'exprimer, et puis l'œil s'habituant, nous distinguions le locataire des lieux, grand, les cheveux ras, vêtu d'une canadienne qui le boudinait, d'un pantalon de velours, ses chaussures de ville n'étaient pas assorties.

- Je chausse du 45, pour trouver des godillots de cette taille.

L'homme avait décrypté mon regard.

- Vous êtes du coin, messieurs ?

- Et vous un prisonnier évadé.

- Inutile de vous le cacher...des problèmes avec votre pétrolette ? je vous ai entendu arriver, elle hoquetait, ça résonne dans la forêt...je peux regarder, j'ai quelques notions de mécanique.

Edouard avait sorti les outils, rapidement l'évadé démontait le gicleur, soufflait dans le trou et essuyait délicatement avec son mouchoir.

- Un peu de flotte, et puis votre carburant c'est pas du nanan, rien qu'à l'odeur, je peux vous le dire.

Plusieurs coups de kick et le moteur pétaradait à nouveau, une fumée blanche sortait du pot d'échappement.

- Vous m'emmenez avec vous.

- A trois sur la machine ?

- C'est du solide, je connais ce engin, j'avais le même dans le civil...si vous pouvez me cacher jusqu'à la nuit, ensuite je continue ma route vers le sud.

Nous étions arrivés à l'entrée de Brécourt, Edouard  prenait le chemin longeant la rivière.

- Nous allons chez toi, par derrière, c'est plus prudent.

- Oui mais nous avons un boche chez nous...

- Tu n'iras pas lui dire que vous cachez un prisonnier évadé.

Maman était surprise de nous voir entrer par la porte du jardin mais elle avait immédiatement compris.

- Lieutenant Michel Desforges, officier de l'ex-glorieuse armée française, en cavale comme vous pouvez le constater. Vous avez une gare de marchandises dans ce village, à la nuit tombée, j'aimerais m'y rendre, je pourrai certainement trouver un wagon en partance vers le sud.

Je me proposais immédiatement pour guider cet homme que je considérais comme un héros mais maman intervenait sèchement.

- C'est moi qui vous conduirez à la gare…vous chaussez du 45, je dois avoir des brodequins de mon mari.

- Il est prisonnier je suppose.

J'étais surpris, la réplique de maman était cinglante, presque désobligeante.

- Non, d'ailleurs lui n'aurait jamais levé les mains en l'air devant l'ennemi, j'en suis certaine.

L'homme baisait la tête, il venait de prendre un sérieux coup et je n'étais pas mécontent, celui que je  commençais à admirer était remis en place, d'ailleurs j'avais l'impression que  cette réaction maternelle était un rappel à l'ordre, le seul homme que je devais considérer ne pouvait être que papa.

Edouard nous avait quittés mais il revenait rapidement, apportant des œufs frais et du jambon.

- Je parie qu'une bonne omelette au jambon vous ferait plaisir.

- Comment avez-vous deviné ?

- Ce ne devait  pas être le menu habituel du stalag.

 L'homme refusait le verre de vin et ingurgitait trois grands verres d'eau. 

- Je dois avoir les idées claires.

 



27/03/2013
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