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Un second souffle

Madame Verlier avait peur que je l'oublie, maintenant elle va penser que je suis un peu trop collant; je voulais éviter de revenir chez elle à l'improviste, je l'ai aperçue  entrant à la boulangerie, j'attends qu'elle sorte  pour l'intercepter.

- Je vous véhicule jusque chez vous.

- Penses-tu, un peu de marche me fera le plus grand bien, et puis je dois passer chez  une amie, j'ai du pain pour elle.

J'insiste.

- Ah mais, tu pourrais m'accompagner chez cette dame, c'est vrai, quand je lui ai parlé de toi, de ta présence à Hauréville, elle m'a rappelé qu'elle avait travaillé chez ton grand-père, elle se souvient encore de toi, Marguerite, Marguerite Gaudron, tout le village l'appelait Margot.

- Margot? mais cette dame est au moins centenaire, elle était déjà  vieille quand nous avons quitté le village.

- Elle doit avoir quatre vingt dix ou quatre vingt douze ans effectivement, elle avait dans les cinquante, à l'époque c'était déjà un âge, quoiqu'elle était coquette, souviens-toi?

Madame Verlier a raison, Margot était non seulement coquette mais bien faite, pétillante, spirituelle; elle faisait partie de mes fantasmes d'adolescent; me reviennent une succession d'images, des flashes inavouables, je désirais cette femme, tout comme Madame Lambert l'épouse du chef de gare ou Annette la fille du boucher.

- Tu vas être agréablement surpris, elle a des difficultés pour se mouvoir mais elle a toute sa tête,  une sacrée tête même.

Margot était très souvent à la ferme de grand-père, elle venait faire un peu de ménage, du repassage, la cuisine quelques fois, elle remplaçait un peu grand-mère disparue en 1940...je me demande si elle et grand-père?... non, je gamberge... pourtant, et malgré sa discrétion... leur discrétion...bizarre comme je réagis à présent, à treize quatorze ans je n'aurais jamais imaginé que  mon aïeul puisse être capable d'avoir une maîtresse...il avait dans les soixante ans, je pensais qu’il avait largement dépassé le temps de faire l’amour... voici la dame qui entretient et fleuri la tombe... non, elle est impotente.

J'étais passé plusieurs fois devant cette maisonnette située en retrait de la rue principale et enfouie dans une végétation épaisse, ce décor m'avait paru familier sans que je puisse le  situer.

J'ai presque envie de faire demi-tour, de ne jamais revoir cette dame, de garder son image telle que je l'avais connue... trop tard, nous avons franchi le portail,  nous sommes engagés dans la longue allée, et devons écarter les chèvrefeuilles exubérants et odorants pour nous frayer un passage.

- Elle refuse de les faire couper, elle veut être cachée, comme protégée, c'est conforme à son caractère.

- Entre Lucie, c'est ouvert.

Nous pénétrons dans un couloir un peu sombre, une bonne odeur de cire fraîche  émane du parquet, les murs sont garnis de cadres représentants des bateaux de toutes sortes.

- Regarde un peu qui je t’amène Marguerite.

- Viens voir à la lumière... le même regard...oh la la  mon garçon, tu me ramènes des années en arrière, que de souvenirs tu me rappelles, quelle curieuse idée de revenir dans ce repaire de dinosaures, dans ce gisement de fossiles, tu as trouvé bien du changement n'est-ce-pas, aucune animation, les rues sont désertes, ce village vieillit, notre génération de croulants est majoritaire... et tu es déjà en retraite, incroyable, quel métier as-tu exercé, où habites-tu? tu as des enfants je présume.

Je lui résume brièvement ma carrière, lui parle des mes enfants, de mes petits-enfants.

- Je n'avais qu'une seule fille, malheureusement elle est décédée avant moi, ce fut un passage douloureux, j'ai   trois petits-enfants, je n'en vois plus qu'un de temps à autre, j'ai des nouvelles quand une nouvelle naissance survient, et encore, je suis incapable de savoir combien j'ai exactement de descendants car j'ai un arrière-petit-fils en Australie qui ne correspond plus avec la famille; je me demande souvent pourquoi le père bon Dieu me laisse sur cette terre, je n'attends plus rien, que la mort.

- Ne parle pas ainsi Marguerite, tu sais encore apprécier les bonnes choses.

- Tu as raison Lucie, j'avoue, l'amitié de voisines telle que toi, une visite comme celle d'aujourd'hui, un beau rayon de soleil, les fleurs au printemps, la neige en hiver, un chant d'oiseau et puis... la télévision, voilà une belle invention pour les vieux, je regarde tout, les jeux, les reportages, les débats... même le sport, j'aime le rugby surtout, voir des beaux gaillards se rentrer dedans et se taper dessus à qui mieux mieux est un réel plaisir.

Je m'habitue à la pénombre, le visage de vieille dame est fripé, raviné et pourtant ses yeux sont pétillants, sa voix est à peine chevrotante, elle est visiblement heureuse de me voir et de bavarder. Je parle de grand-père.

- Je pense à lui, de temps en temps, pense t'-il encore à nous?.... tous ces gens  qui faisaient partie de ma vie, de mon horizon, disparus, évaporés pff...ils sont tellement nombreux, beaucoup trop pour que j’y pense sans cesse, j'évite de conditionner mon semblant de vie en me raccrochant au passé, à quoi bon... avant ton départ, viens me saluer mon garçon, si tu reviens l'an prochain, je n'aurai certainement plus le plaisir de te voir.

Nous quittons Margot sur la pointe des pieds, visiblement l'émotion l'étreint, elle a besoin de repos.

-- Elle ne change pas intellectuellement, elle est toujours aussi forte, pendant la guerre, lors des bombardements, elle savait nous remonter le moral.

- Et avec grand-père?

- Petit curieux, tu as compris, que veux-tu, il était veuf, elle était veuve alors pourquoi pas, la vie est ainsi faite, les femmes et les hommes sont toujours attirés l'un vers l'autre, à mon humble avis, les exceptions sont contre nature.

- Elle a des difficultés pour marcher?

- Oui, elle se traîne un peu dans sa maison, elle arrive à se faire à manger, je lui donne un coup de main pour le gros ménage, encaustiquer les parquets surtout, elle y tient, c'est une autre voisine qui lui lave et repasse son linge.

- C’est donc impossible que ce soit elle qui met des bouquets de fleurs au cimetière, je pense qu’elle commandite une tierce personne.

- Tu es encore obnubilé par cette histoire, il arrive que des âmes charitables fleurissent les tombes oubliées.

Coriace Lucie Verlier, je vais mener ma propre enquête.

Je n'ai pas fini de cogiter en ressassant les leçons de Margot, elle a mille fois raison,  sans renier le passé et sans faire de projet à longs termes, vivons le temps présent et pour moi, le présent, c’est surtout la propriétaire de la bicyclette rose, c'est elle qui focalise mes pensées, et des pensées de toutes sortes, depuis ce que je peux appeler mon redémarrage, un second souffle, je me sens capable de mener à bien une entreprise de séduction jusqu'à son apogée, plus aucune appréhension, Simone a permis de confirmer mes possibilités,  chère petite madame, à nous deux.



05/10/2012
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