La nymphe vengeresse
- La façon dont il serait tombé, en avant, de tout son long... bizarre, mon père était un homme valide et solide, agile même pour son âge, s’affaler ainsi ... et puis, je dois vous dire que depuis sa mort, un autre accident est survenu, fin du mois dernier, pratiquement au même endroit, près d’une source dénommée la Fontaine aux Chênes, un maître ébéniste, André Lemarquis a été victime d’un accident de chasse, il se serait également pris les pieds dans des ronces, aurait trébuché, ce qui aurait déclenché un coup de fusil malencontreux.
- J’ai lu les circonstances de cet accident, un rapport de gendarmerie envoyé par notre correspondant local.
- Je sais, la thèse de l’accident a été rapidement retenue.
- Mais vous doutez, cette thèse ne vous convient pas?
- Comme mon père, André s’était drôlement écarté de sa trajectoire, son poste de chasse se trouvait à plus d’un kilomètre. Vous imaginez la réaction des habitants, d’autant plus que rétrospectivement, une troisième mort suspecte n’a pas manqué d’alimenter les commentaires, celle d’un bûcheron, c’était en février dernier, le pauvre homme a reçu une énorme branche sur la tête, il aurait commis une faute impardonnable.
- Je me souviens également de cet accident, un arbre foudroyé l’année précédente, un morceau de tronc suspendu qui tombe, mais, si je ma mémoire est bonne, la victime avait tout fait pour que la branche dégringole, il avait cogné sur le fût paraît-il, l’arbre portait des marques sur l’écorce.
- Je vois que tout ce qui se passe à Mauzieux ne vous laisse pas indifférent, cela nous fait plaisir. Vous dites que le bûcheron aurait cogné sur le tronc ? lui ou quelqu’un d’autre, et ce drame s’est déroulé aussi à proximité de cette maudite source.
- Coïncidence, cela arrive fréquemment.
- Je pensais comme vous, une coïncidence, seulement, au bourg, nombreux sont ceux qui pensent différemment, des bruits courent disant qu’il s’agirait de meurtres et le pire c’est qu’une majorité d’habitants parle d’autre chose.
- C’est-à-dire ?
- Une sorte de malédiction qui planerait sur la localité depuis des siècles, une légende encore vivace ici...
Julien Garassaux semble gêné, il triture la malheureuse pipe, incruste ses ongles dans le bois.
- Je vais être en contradiction avec mes propos de tout à l’heure quand je vous parlais de la modernité du village, cette légende concerne la Fontaine aux Chênes, ce lieu serait maudit depuis le moyen-âge à la suite d’une vague histoire de viol collectif suivi d’un crime horrible, la victime étant une jeune femme noble, je vous passe les détails de l’affaire telle qu’elle se racontait pendant les longues veillées d’hiver, le drame ce serait produit en 1097 ; depuis, chaque cent ans, Mauzieux est le théâtre d’événements dramatiques, nos archives indiquent en effet qu’en 1897 , un glissement de terrain avait emporté plusieurs maisons à flanc de coteau, une vingtaine de morts avaient été déplorés, cent ans auparavant, c’est un tremblement de terre qui aurait détruit le centre de l’agglomération, faisant de nombreuses victimes. Aux siècles précédents, toujours en 97, on parle d’épidémies de peste et de choléra, de saccages et de massacres perpétrés par des hordes de bandits mais ce genre de calamités n’était pas l’apanage de notre village.
- Et cette année 1997 a eu son lot de drames.
- Et nous ne sommes pas encore au bout, d’ici fin décembre d’autres décès suspects pourraient survenir, c’est ce que craignent mes administrés.
- Ce qui crée un climat déplaisant je suppose.
- Vous y êtes et c’est la raison de mon appel à l’aide, je ne crois pas du tout à cette malédiction.
- Vous pensez qu’un individu ou plusieurs personnes profitent de cette légende pour accomplir des crimes, ne croyez-vous pas qu’il faudrait vous adresser plutôt à la gendarmerie, mes attributions sont limitées aux faits réels, je n’ai aucune compétence pour mener des enquêtes.
- La gendarmerie ? c’était notre première idée car en fait nous sommes une poignée à écarter cette histoire de malédiction : comme vous dites, nous supposons en effet qu’un assassin profite de la crédulité des habitants pour agir, pour assouvir des vengeances personnelles, seulement, nous connaissons l’esprit des Mauziaises et des Mauziais, ils ont une aversion pour les uniformes et particulièrement pour celui de la gendarmerie, durant des lustres, la venue de la maréchaussée était synonyme d’arrestation pour l’un des leurs, les gens ont toujours été un peu en marge des lois, braconniers, fabricants d’alcool clandestin, réfractaires au service militaire et aux impôts et sur ce dernier point la tradition se perpétue. Non, nous avons bien réfléchi, les gendarmes et leurs gros godillots ne feraient que semer le trouble.
- Vous êtes bien aimables d’avoir pensé à moi, comment pourrais-je vous aider utilement, il me faut des faits précis pour faire des investigations sur le terrain, je ne suis que journaliste.
- Mes amis vont être déçus, ils espéraient votre accord, parlez donc de cette affaire à votre patron.
- Vous le connaissez personnellement ?
- Non, je crois que mon père l’avait rencontré, il m’avait parlé d’une visite qu’aurait fait monsieur Magien dans notre village de Mauzieux, il y a quelques années de cela, je ne sais plus pour quelle circonstance.
- Je veux bien faire cette démarche, mais avez-vous une petite idée concernant ces trois crimes éventuels ?
- Rien de précis.
- Des points communs entre les trois victimes, à part le lieu du drame ?
- Les trois hommes se connaissaient sans se fréquenter, André était client de notre scierie, Fernand Maillard, le bûcheron travaillait épisodiquement pour notre exploitation, vous savez, ici, tout le monde se connaît sans réellement se lier, les compagnons et les ouvriers ne se fréquentent que durant les heures de travail, les copinages de bistrot se cantonnent autour d’un verre.
- Et si votre malfaisant commettait encore un ou plusieurs crimes ? je pense tout de même qu’il faut mettre la gendarmerie dans le coup, afin qu’elle puisse exercer une surveillance discrète, c’est bien la brigade de Serville qui est chargée de Mauzieux.
- Oui, depuis plusieurs années... je vais en référer à mes amis et je vous tiens au courant monsieur Passy, merci d’avoir fait le déplacement et de m’avoir écouté surtout, j’avais besoin de me confier...mais s’il vous plaît, faites part de notre entretien au patron de la Gazette Républicaine.
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