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La nymphe vengeresse

La route des moines est empierrée et relativement bonne, nous pouvons continuer en voiture.

- Si je vous disais que les grumiers de chez Galley ne passent jamais par ici, ils font des détours pour éviter ce chemin.

- Pourquoi ?

- Des conneries, il paraît que prendre ce chemin porte malheur.

Lors de notre promenade, Jean Galley a lui aussi évité ce raccourci, pour les mêmes raisons ?  

Les vestiges du monastère sont discrets,  quelques tumulus de grosses pierres, un profane passerait à côté sans se douter de leur origine.

- Incendié à la révolution, les connards, ils ont gaspillé un patrimoine important sur l’autel de leur folie, raccourcir les rois et les princes d’accord, mais il fallait laisser les édifices debout.

Le vieux bûcheron trotte comme un jeune homme, de sa canne il nous désigne des arbres remarquables.

- Ce hêtre , j’ai failli l’abattre il y a plus de vingt ans, un jeune garde-forestier l’avait marqué, une boulette, je l’ai épargné, j’ai masqué l’entaille et j’ai rudement bien fait, la preuve il se porte comme un charme et ses enfants poussent tout autour de lui, il lui reste  encore facilement  dix ans avant d’être transformé en meubles, je serais certainement mort avant lui. 

Le chemin est effectivement plus court et nettement meilleur que l’autre, je vais tout de même demander à Galley les raisons de son choix.

- Voyez ce chêne tordu, c’est à son pied que j’ai demandé à Julie si elle voulait de moi, bientôt soixante ans, nous avions gravé nos initiales mais c’est recouvert depuis belle lurette..

- Je croyais qu’il fallait éviter ce genre de mutilation sur les troncs ?

- Sur le hêtre oui, l’écorce est fine, une blessure peut provoquer une pourriture et condamner l’arbre, le chêne est beaucoup plus résistant à ce niveau, regardez son frère, le chêne-liège, il se fait dépiauter et il reprend vigueur de plus belle.

- Vous veniez régulièrement à cet endroit ?

- Si vous voulez me faire dire que je venais boire de la flotte, inutile, je n’ai jamais eu besoin de stimulant...encore maintenant, vous pouvez me croire.

Le père Limonet rit à belles fausses dents, j’aimerais être aussi gaillard que lui à son âge.

- Nous venions surtout début mai,  au muguet, c’était couvert de clochettes ici, paraît qu’il est disparu, des vandales ont tiré les pieds pour mettre dans leur jardin, quelle idée, aucun plaisir à  cueillir du muguet devant sa porte.

- Et la nymphe ?

- Je n’avais aucune chance de la voir, mon père et ma mère sont nés à Mauzieux, moi aussi...je n’y jamais cru mais j’ai raconté l’histoire à mes enfants et à mes petits-enfants, il faut bien faire rêver les gosses.

Nous restons quelques minutes, les yeux fixés sur le bouillonnement d’une eau claire, plus loin, le bassin est agité par d’innombrables bulles qui éclatent à la surface.

- La nymphe est juste en dessous, elle pompe l’air par les roseaux et la rejette, voyez les bulles, elle est là, elle nous a entendu.

Une atmosphère bien particulière règne dans cet endroit, Benoît n’a pas encore fait de photo, il est figé.

- C’est beau, le début de la vie, regarde le filet qui hésite avant de prendre son élan, dire que cette eau va se retrouver dans l'océan, se mélanger aux vagues écumantes ou se retrouver dans les abysses.

J’ignorais les penchants romantiques de notre photographe.

- Et la grotte, elle est dans le coin ?

- Suivez-moi.

Nous contournons la source, derrière un buisson épais, nous découvrons une petite falaise calcaire, un trou à la base, juste la place pour se faufiler.

- Les pluies, le dégel, les pierres continuent à boucher le passage, de mon temps, il était possible d’entrer debout.

Benoît, le plus svelte se propose d’explorer le trou, nous dégageons quelques moellons prêt à tomber, le reste est consolidé par le gel.

- Ne t’aventure pas trop loin.

- Si vous trouvez un trésor, c’est celui de Fernand.

Mon collègue s’accroupit et pénètre dans la souricière, il disparaît presque entièrement.

Je suis soulagé en le voyant reculer, je l’aide à se redresser.

- A défaut de trésor, j’ai trouvé ça.

Benoît tend un grand morceau de corde.

- Une corde de pendu, un porte-bonheur.

Au pied du rocher, un mégot de cigarette.

- Je l’ai entraîné en sortant, une américaine.

Des traces de rouge à lèvres sont visibles sur le filtre, j’emballe la relique dans un mouchoir en papier.

Monsieur Limonet examine la trouvaille de Benoît.

- Cette corde ne date pas du temps des moines, elle est pratiquement neuve, que faisait-elle là-dedans ?

Nous quittons l’endroit et revenons au bord de la source.

- Vous avez vu le chêne foudroyé, celui qui a tué Fernand ?

- Jean Galley me l’a présenté mais il serait intéressant de le prendre en photo.

L’arbre meurtri semble implorer une mort définitive, la grosse branche coupable de l’accident gît à son pied.

Le vieux bûcheron tourne autour du chêne en secouant la tête.

- Regardez monsieur Passy, les petites branches sur le côté ont été sectionnées à la serpe.

- Depuis la chute probablement ?

- Non, les coupes à la serpe sont de la même époque  que les cassures provoquées par la chute.

Je veux bien croire le professionnel.

- Cela supposerait qu’un gars est monté sur l’arbre pour...montrez voir la corde.

Monsieur Limonet examine une branche latérale partant du morceau de tronc abattu.

- Vous voulez que je vous dise, la corde était attachée à cet endroit, on voit encore les

marques et des fibres sont incrustées dans l’écorce, vous savez à quoi je pense ?  un type monte sur l’arbre, accroche une corde pour maintenir le bout de tronc en l’air, dégage les branchettes qui  la retient. Ensuite, il attire  Fernand sous l’arbre,   donne un coup de hache et coupe la corde, patatras sur la tronche, je vois le tableau d’ici.

- Un type comme Radzic.

- Ce n’est pas le seul à Mauzieux capable de fabriquer ce genre de piège, les vieux racontaient des histoires de ce genre qui s’étaient passées dans le temps jadis, quand des hordes de brigands écumaient les bois et les campagnes.

- Comme dans Robin des Bois.

- Possible, mais c’était un moyen de se défendre à l’époque...Tito ? avec  un complice, ils pouvaient se mettre à plusieurs pour arriver à leurs fins.

La thèse du vieux bûcheron tient la route, Benoît toujours aussi impulsif propose d’aller à la gendarmerie.

- Je vous accompagne, ils me croiront, ils savent que le père Limonet n’est pas un radoteur.

L’adjudant Bertrand est dans une position inconfortable, revenir sur une affaire classée dérange, cela prouverait que l’enquête initiale a été bâclée, que les gendarmes ont négligé certains détails.

- Ce que vous me racontez paraît cohérent, êtes-vous disponible lundi monsieur Limonet, nous irons sur place...monsieur Passy, je peux vous demander de passer  notre entretien sous silence.

- Vous savez que la rubrique ...silence n’a pas sa place à la Gazette.



01/11/2011
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