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Un second souffle

Cette fois, c’est décidé, je termine la semaine et je boucle mes valises.

Ce matin, au bar, j'entends parler d'un  décès dans le village, je tends l'oreille, je suppose que c'est le père Manaux qui vient de s'éteindre, après ses révélations, sa confession, il pouvait mourir presque soulagé.

 - Non, c'est un nommé Albert Vignon qui vient de s'éteindre, un vieillard qui vivait chez sa fille, pourquoi, tu t'intéresses aux autochtones maintenant.

Simone me renseigne, elle est bougonne en ce moment, elle vient plus rarement me retrouver dans ma chambre; le fait d'avoir reporté ses soupçons sur le fils de Maria la rend maussade.

Un autre membre de l'équipe qui disparaît, d’après la lettre de mon père, il ne pouvait être coupable et le vieux Manaux ne l'a pas accusé non plus.

Quelle étrange idée me prend d'assister aux obsèques d'Albert Vignon; curieusement, je ne me sens pas tellement étranger au milieu de tous ces gens de la terre, j'ai l'impression de retrouver mes racines; la petite église est pleine à craquer, je m'étais mis un peu à l'écart mais je suis invité par la famille Lenoir qui se serre un peu pour me laisser une place dans leur banc; Yves Lenoir semble apprécier ma présence, Yvette me fait un signe amical; j’aperçois Gisèle un peu plus loin, elle accompagne son vieux client, le père Manaux qui se courbe de plus en plus.

J'ai un choc en tournant autour du catafalque et en découvrant le côté des femmes en deuil, une vision fugitive, l'impression de voir Capucine au premier rang; cette femme en noir? Mêmes  yeux que la sauvage, même forme du visage, non ce n’est pas elle; la dame me jette un regard lors de mon passage, sentant probablement que je la dévisage, je lui fais un petit signe de la tête, comme la plupart des participants.

Ce n'est pas Capucine, c'est évident; la fille d'Albert Vignon? Marie-Louise? Manaux m'avait parlé d'elle en terme élogieux, jalousant son vieux copain; ce serait donc la fameuse veuve Dubois, qui chouchoutait son père.

Je n'avais pas prévu d'accompagner le corps au cimetière mais la curiosité m'attirait dans cet endroit, l'envie de revoir cette dame en noir.

Nous sommes bloqués à la sortie de l'église, décidément les orages se poursuivent et me poursuivent; la pluie cesse et le cortège s'ébranle enfin; un arc-en-ciel, encore un, enjambe le coteau, il est splendide, les enfants de chœur s'émerveillent devant ce spectacle.

J'étais pris dans une sorte de piège, obligé de suivre la foule qui s'agglutinait autour  du cercueil, de supporter deux discours fastidieux et inaudibles.

Je m'introduisais dans la file qui passait devant les parents du disparu, poignées de main, accolades, phrases habituelles; la tradition des condoléances, oubliées depuis longtemps dans les villes perdurent dans les campagnes; mon cœur bat la chamade lorsque mon tour arrive, Yves Lenoir me précède, il embrasse la dame, je tends la main et rencontre une main douce; je suis sidéré, si c'est bien Marie-Louise Dubois, elle ressemble étrangement à Capucine; les révélations du père Manaux, la lettre de mon père qui innocentait Vignon ne tiennent pas debout, c'est le vrai père de Capucine qui va descendre dans la terre; mes sentiments ne me trompent pas; cette découverte me bouleverse et me trouble terriblement; l'attrait que j'avais eu pour Capucine, je le reproduis avec la même intensité pour la fille du défunt; je suis certain que je ne suis pas passé inaperçu aux yeux de Marie-Louise; malgré la situation, j'ai senti qu'elle m'avait accordé une attention particulière.

- Monsieur Demoulin, vous nous accompagnez, nous sommes tous invités au café, les Vignon offrent un pot de remerciement.

Le couple Lenoir ne me lâche plus, Yvette paraît même fière d'être en ma compagnie; aux yeux des villageois, je dois représenter un certain mythe, une ouverture vers l'extérieur, vers la ville.

- Je profite de ma présence au cimetière pour aller me recueillir sur la tombe de grand-père.

- Nous allons dans la même direction, les parents d'Yves sont situés dans la même rangée.

Et un nouveau bouquet de fleurs sur la pierre tombale, cette fois elles sont fraîches... la ou le dépositaire vient de passer, avant les obsèques probablement, Yvette Lenoir vient de me rejoindre alors que son mari est en grande discussion avec un groupe d'hommes.

- Joli bouquet.

- Oui et je me demande qui vient de le déposer?

- Vous l'ignorez? allez voir deux travées en dessous, vous trouverez certainement le même.

- C'est-à-dire?

La paysanne est visiblement embarrassée mais elle m'entraîne dans un autre coin du cimetière; je découvre effectivement un bouquet similaire sur une autre tombe.

La lecture du nom gravé dans le marbre me donne un choc, je dois avoir la même attitude que Capucine lorsque je lui ai déclaré mon patronyme.

- Vous avez compris quelle est la mystérieuse dame qui prend soin de votre aïeul, si vous lui demandez le pourquoi, elle vous répondra qu'elle l'ignore, c'est son père qui, dans  ses dernières volontés écrites, lui aurait fait cette étrange requête, juste avant de se pendre.

Quels étaient les rapports entre grand-père et monsieur Fontaine, à part les relations d'affaire? 

- Et vous dites qu’Adèle ignore totalement le motif.

- D’après ce qu'elle dit et c'est une femme trop croyante pour mentir, mon beau-père  supposait que c'était à cause d'une vieille histoire qui se serait déroulée pendant la guerre, votre grand-père aurait rendu un grand service au père Fontaine, enfin c'est ce que tout le monde pense au village.

Je véhicule le couple jusqu'au café; malgré leur tenue du "dimanche", une certaine odeur d'étable émane de leur personne, il va me falloir aérer la voiture pendant un bon bout de temps afin d'oublier ce passage.



10/12/2012
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