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Les yeux de la lune

Cette fois les ronronnements étaient accompagnés de rafales de mitrailleuse, je lâchais brusquement ma cuillère et culbutais mon bol de café au lait.

- Vite aux tranchées, ce sont des coups de semonce, pour prévenir les civils... claironnait grand-père.

A peine étions-nous descendus que des sifflements stridents précédaient des explosions terribles. Grand-père était resté sur l’échelle de bois, la tête à l’extérieur.

Madame Langlois égrenait son chapelet et marmonnait des prières pendant que maman et moi nous nous blottissions dans le fond de l’abri.

- Papa, descend voyons ! Simone s’égosillait en vain.

- Tant qu’on entend les sifflements ce n’est pas pour nous.

Deux autres explosions retentissaient puis enfin le bruit des moteurs s’estompait.

Un grand silence s’était abattu sur la vallée, les oiseaux s’étaient tus, je les imaginais, blottis dans leur nid, terrorisés, seul le gazouillement de la rivière s’entendait encore.

- Ils ont certainement détruit le pont.

Grand-père sautait sur son vélo et filait vers le pont du chemin de fer, j’essayais de le suivre en courant mais son coup de pédale était efficace, il me distançait.

Plusieurs personnes convergeaient vers l’ouvrage, de la route il semblait intact, par contre, le pré voisin était creusé de deux énormes entonnoirs. 

- Regardez-moi ces maladroits, si les conducteurs de tank sont de la même veine, nous pouvons dormir tranquille, ils vont s’enliser dans les marécages de Belgique.

L’homme qui venait de faire cette déclaration tonitruante était bien connu à Brécourt, capitaine en retraite, il lui manquait le bras droit.

- Perdu à Vauquois à cause de mon amour pour les animaux sauvages.

Tout le village connaissait l’histoire de son bras qu’une rafale de mitrailleuse avait déchiqueté alors qu’il voulait mettre en lieu sûr un écureuil apeuré. C’était du moins la version que monsieur Ledrun répétait à ceux qui acceptaient d’écouter son histoire.

- La pauvre bête tremblait comme une feuille sur la branche d’un hêtre abattu, j’ai voulu commettre une bonne action et voilà le résultat.

L’amputé affirmait qu’il sentait encore ses doigts.

- Surtout au réveil, pendant des années, en ouvrant les yeux le matin, je jetais un oeil sur ma droite, dans l’espoir d’avoir fait un cauchemar, malheureusement je ne voyais que cet affreux moignon.

 

- Un blessé dans la rue de la Fontaine, vite.

Pierrot, un copain, accourait à perdre haleine.

Le centre d’intérêt changeait d’endroit, la foule se précipitait vers une tranchée chahutée d’où émergeait un vieil homme ensanglanté.

- Ce ne sont pas les bombes, pas même un éclat, c’est une tôle qui a glissé quand j’ai voulu sortir, elle m’a entamé une jambe, non d’une pipe !

- Pas étonnant, cette installation est ni faite ni à faire.

Le côté pratique de grand-père Louis reprenait le dessus alors que madame Soufflet, une infirmière à la retraite s’occupait du blessé.

- Pierrot, file chez moi chercher ma trousse d’urgence, tu demandes à mon mari.

Madame Soufflet avait arraché la jambe du pantalon, elle épongeait délicatement le sang avec son mouchoir.

- Cela peut être grave, il faudrait faire une piqûre contre le tétanos.

- Taisez-vous donc vieille folle, la blessure est superficielle.

Monsieur Ledrun  agitait son bras unique comme un moulinet. Il n’avait pas tout à fait tort, madame Soufflet avait parfois un comportement étrange. Quand j’étais enfant de chœur, je l’avais surprise en train de tamponner les pieds du Christ en bois avec de l’alcool à 90°.

- Pour éviter l’infection.

Me moquant d’elle, je lui avais proposé un tabouret afin qu’elle puisse atteindre les mains du crucifié.

- Merci, rien qu’en mettant des talons hauts, j’ai le vertige.

Pierrot venait d’apporter une boîte en fer marqué d’une énorme croix rouge, l’infirmière sortait des flacons et du coton hydrophile et se penchait sur la jambe du blessé.

Depuis mon arrivée aux abords de la tranchée, j’avais remarqué, se tenant un peu à l’écart, une jeune demoiselle vêtue d’une blouse rose, une inconnue. Alors que j’entamais une progression louvoyante vers la jolie fille, Jacqueline m’apostrophait.

- Alors Christophe Martin, tu t’intéresses aux Parisiennes maintenant.

- Comment sais-tu qu’elle est Parisienne.

- Je peux même te dire comment elle s’appelle…Lily, c’est pas un nom de sainte, si tu vois ce que je veux dire.

Jacqueline était souvent dans mon sillage.

- Elle est amoureuse de toi, cela se voit comme le nez au milieu de la figure, me répétait Ferdinand.

Possible mais cette grande fille maigre et plate me déplaisait, particulièrement ses blouses à gros boutons blancs, j’avais une véritable aversion pour les boutons, à plus forte raison pour les gros.

- Tu veux savoir chez qui elle est cette pâlichonne ?... chez les Lenoir, c’est la nièce de Marcelle, paraît que sa mère fait le trottoir à Paris, tu l’as déjà vue... sa mère... elle était venue à l’enterrement du vieux père Lenoir.

Jacqueline me connaît bien, j’avais effectivement remarqué cette femme jolie et élégante, perchée sur des hauts talons, marchant difficilement dans les allées sablonneuses du cimetière.

 

Mon approche était éventée, la demoiselle aux cheveux frisés et dorés quittait les lieux et remontait prestement vers la ferme Lenoir. J’aurais pu prendre le raccourci par la ruelle des Bergers et l’intercepter mais, puisqu’elle me fuyait...



24/01/2013
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