Un été ordinaire
La mort de mon père avait créé un vide dans le village et pourtant quelques langues se déliaient, quelques personnes savaient que monsieur le maire s’intéressait de trop près aux jouvencelles, mais il n’était pas le seul paraît-il. Quelques noms étaient cités, mais uniquement ceux de disparus, ce qui laissait supposer que quelques fripouilles de la même veine étaient encore en activité, bien protégé par une immunité honteuse, une conspiration du silence comme cela avait été le cas concernant mon père.
- Il y avait pire, souvenez-vous de maître Leray, l’ancien notaire il ne se contentait pas des filles, lui.
Ce genre d’affirmation me troublait et me rappelait que moi aussi j’avais subi une attaque en règle, lors de ma deuxième année en pension et de la part d’un éducateur de sport. Je n’avais pas compris le but de cette soudaine sollicitation mais j’avais réagi violemment, cet étrange personnage ne m’avait plus touché.
Sylvette m’avait raconté ce qu’elle avait enduré depuis l’âge de treize ans, je compatissais et pourtant, lors de la description de certaines scènes, ma cousine semblait avoir quelques regrets que cela ne se renouvelât plus, je la poussais à me faire des aveux.
- C’était comme si j’étais deux, à la fois écœurée et contente, j’éprouvais autant de plaisir que de dégoût, difficile à expliquer ces choses-là.
Rapidement, elle me faisait comprendre que si je tentais des familiarités avec elle, elle accepterait volontiers. L’offre déguisée me tentait, d’autant plus que, sous la férule de Marina, ma cousine était complètement transformée, elle avait rangé définitivement au placard ses affreuses blouses aux gros boutons, également la vichy qui rappelait de pénibles souvenirs. Les deux femmes avaient été faire des achats en ville et une véritable garde-robe avait été constituée. La taupe grise écumait de rage quand les vêtements neufs avaient été déballés sur la grande table, que Sylvette avait enfilé une robe légère agrémentée de fine dentelle qui lui allait à merveille.
- Qu’en penses-tu Fred, toi le seul homme de la maison, elle est jolie ta cousine n’est-ce-pas ?
Impossible de dévoiler le fond de mes pensées mais Marina avait insisté sur le mot cousine, c’était une sorte de mise en garde, pourtant, les mariages entres cousins et cousines existent.
- Oui mais il vaut mieux éviter, ces mariages génèrent des gosses anormaux.
Transformée physiquement la petite Sylvette l’était aussi moralement, ses grands yeux tristes avaient laissé la place à un regard toujours un peu nostalgique mais où brillait la sérénité.
Marina prenait soin d’elle, estimant que c’était son devoir de tutrice.
- Nous allons rattraper le temps perdu dans tous les domaines, comme moi, tu vas t’instruire grâce aux ouvrages de notre bibliothèque, et puis j’ai demandé à monsieur Lemallet de venir quelques heures par semaine pour t’apprendre à jouer du piano, cet instrument est muet depuis trop longtemps.
Sylvette était ravie.
Muet pour tout le monde sauf pour moi, quand je venais dans le salon bleu, cette pièce rarement utilisée, c’est comme si j’entendais des notes cristallines résonner, maman n’était pas une virtuose, loin de là mais quand elle jouait du Mozart, je quittais cette terre, je planais dans le ciel, assis sur un nuage.
Monsieur de Lauracourt venait de passer une journée à l’usine, le matin il avait fait le tour de la boutique, guidé par ma tante, l’après-midi, il était resté au bureau pour éplucher nos comptes. J’avais suivi le couple de loin et j’avais récolté quelques échos de la part des ouvriers.
- Frédéric, tu ne vas pas laisser ce type prendre ton usine en mains, dans la sienne il n’est pas estimé de ses ouvriers, trop distant et autoritaire, alors chez nous il va être pire.
Fernand était le plus remonté mais Gabriel habituellement réservé et prudent n’était pas en reste.
- Ta tante avec en plus ce monsieur ‘De’ aux commandes, tout le monde va fiche le camp, moi le premier.
A midi, nous avions ce monsieur ‘De’ à notre table et c’est à peine si il m’avait adressé la parole, ignorant presque ma présence. Il s’était montré courtois envers Marina mais sans plus, les deux futurs associés parlaient souvent à voix basse.
Marina était furax.
- Je vais m’opposer fermement à l’entrée de ce goujat dans le capital de Delanaud SA, je me sens une âme de chef d’entreprise, nous allons embaucher un acheteur de grumes, Vincent, le fils de Victor est tout désigné, son père m’a avoué que ce garçon désire quitter l’administration pour se diriger vers le privé, voilà un élément de valeur, bien formé à l’école de son père.
Je ressentais une pointe de jalousie, Vincent est célibataire, c’est un homme aussi grand que son père, encore plus athlétique.
- Tu vas un peu vite en besogne, comment comptes-tu faire pour éliminer le nobliau ?
- Je vais trouver un cadavre dans son placard, ce genre de personnage a obligatoirement un cadavre dans son placard.
L’assurance de Marina me surprenait, elle devait avoir des indices pour affirmer une telle chose, je la poussais à me dévoiler son plan.
- Je n’aurais dû rien te dire, c’est compliqué et je ne suis pas certaine de réussir, bon puisque tu insistes.
Rapidement, j’apprenais que Bertrand de Lauracourt pourrait être responsable de la mort de plusieurs résistants, que durant l’occupation, il aurait fournit des renseignements aux Allemands, c’est Véronique, l’épouse de Louis le garagiste qui lui avait donné cette information.
- Elle est originaire des Ardennes, d’un village proche de la résidence du comte, ce sont des bruits qui couraient après la guerre, depuis l’affaire s’est estompée.
- Naturellement, montrer du doigt un gros propriétaire, exploitant forestier et industriel et noble par-dessus le marché, c’est inconcevable.
- Inconcevable c’est le terme... mais si c’est la vérité, ta tante refusera de s’associer à un traître, ne serait-ce qu’en souvenir de son cher Maurice.
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