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Les yeux de la lune

Une odeur de paille brûlée m’accueillait à la sortie, le vent avait certainement tourné et les dernières fumées de la meule avaient envahi le village. C’était ma conclusion mais bien vite je changeais d’avis, un  épais nuage gris-noir montait vers le ciel. Je localisais la source de ces volutes, il provenait de la rue Saint-Martin. Je prenais un raccourci, passait par la passerelle et me retrouvais à l’arrière d’une ferme en feu.

- Cette fois c’est pas un coup des gosses, ou alors ils sont culottés.

D’autres curieux dont monsieur Langlois étaient massés contre le grillage.

Je voyais les pompiers s’agiter dans la cour, la fumée semblait se calmer puis elle reprenait vigueur; comme le hangar, la grange elle aussi contenait des récoltes allemandes, j’étais d’accord avec monsieur Langlois, ce nouvel incendie avait certainement été allumé par des résistants.

La grange et son contenu avaient été partiellement détruits, les pompiers avaient évité que le feu se propage au corps de logis habité par la propriétaire.

 

Le troisième incendie avait été plus violent, une grange isolée avait pris feu en pleine nuit et le brasier était tellement ardent que les sapeurs n’avaient pu s’approcher.

Cette fois, comme il fallait s’y attendre, la réaction des Allemands était brutale, alors que la paille fumait encore, que le village était imprégné d’une odeur tenace, des véhicules militaires faisaient irruption sur la place de la mairie. J’avais assisté à leur arrivée, les deux officiers ressemblaient à ceux qui avaient forcé l’appartement de mademoiselle Lonny, les soldats étaient casqués et bottés.

Une voiture équipée d’un porte-voix faisait alors le tour du village, exigeant que tous les hommes de dix huit à soixante ans se rassemblent sur la place de la mairie, l’appel se terminait par des menaces à l’encontre de ceux qui n’obéiraient pas à cet ordre.

Caché dans une haie de thuyas, j’assistais à un étrange spectacle, venant de tous côtés, les quelques hommes du village se regroupaient devant le porche de la mairie, Edouard était parmi les derniers.

J’entendais un officier hurler en allemand, ponctuant chaque phrase par un coup de cravache sur sa botte, je n’arrivais pas à saisir la traduction faite par monsieur Wéber le secrétaire de mairie. Le maire, monsieur Mazuaud  levait les bras au ciel, semblant implorer la grâce de Dieu.

Au bout d’un bon quart d’heure, le groupe d’hommes se disloquait, avec soulagement, je voyais Edouard et les autres retourner chez eux. Je contournais l’école, courais vers le carrefour, j’arrivais en même temps que mon oncle.

- C’est clair et net, si une autre ferme flambe, c’est tout le village qui y passe, les lance-flammes sont prêts a gueulé le colonel boche...le village et les gens avec...j’ignore si c’est un coup de nos maquisards...

- Je  vais tout de suite au parc, nous le saurons. 

Le signal sonore attirait rapidement un homme, ce n’était pas celui qui avait répondu la première fois à mon appel.

- Nous sommes au courant mais ce n’est pas notre groupe, nous avons d’autres chats à fouetter que de foutre le feu à des fermes, de toutes façons, les fridolins n’auront pas le temps de battre l’orge et le blé, les Américains approchent...je vais en référer à mon chef, nous allons essayer de savoir qui sont les pyromanes et nous leur demanderons d’arrêter leurs conneries.

A mon retour, Edouard m’annonçait que le maire avait fait une promesse aux Allemands.

- Mobilisation des bonshommes, nous allons monter la garde autour des trois autres fermes boches, de jour et de nuit.

Est-ce l’intervention des clandestins ou la présence de gardes civils armés de gourdin, plus aucune ferme ne brûlait.



02/07/2013
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