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Le moulin des ombres

Laurent Passy est journaliste dans un quotidien régional, il est spécialisé dans la rubrique des faits-divers, vous allez le suivre dans cette affaire qui se situe dans les années 1980.

 

 

 - Laurent, un fax, tes copains, les gendarmes  de  Saint-Julien.

Je commençais à m’ennuyer, depuis mon retour de vacances, pas grand chose à me mettre sous la plume, cette fin de mois d’août ressemblait comme une sœur jumelle à celle de l’an dernier. J’avais bien essayé, comme chaque année de meubler ma rubrique en ressortant quelques histoires judiciaires enfouies au fond des tiroirs, de vieux dossiers poussiéreux qui finalement n’intéressent que les anciens, et encore, la majorité de nos lecteurs préfère les affaires récentes. Malgré les réticences d’Henri, notre cher rédacteur en chef nostalgique du bon vieux temps, j’avais décidé de mettre un terme à ce retour vers le passé.

 

Cette télécopie, une affaire intéressante? Le message est laconique, il nous avise qu’un corps a été repêché dans le bief d’un ancien moulin, le corps d’un homme non identifié. Je compose immédiatement le numéro de téléphone indiqué.

- Un instant, je vous passe l’adjudant Gobert.

Le sous-officier Gobert fait effectivement partie de mes bonnes relations, commandant la brigade de Saint-Julien chargée d’un secteur rural  relativement calme, il m’avertit assez rapidement dès qu’un événement important vient de se produire dans sa zone d’affectation. Ce n’est malheureusement pas le cas de tous les chefs de brigade de la région et je le déplore, la Gendarmerie Nationale, malgré ses déclarations d’ouverture reste encore dans le giron de la « grande muette ».

 

J’accorde toujours une attention particulière aux faits divers se déroulant à la campagne, ils prennent une dimension tout à fait différente de ceux rencontrés dans les zones urbaines.  Les nouvelles se répandent beaucoup plus vite, il faut donc apporter des réponses et des précisions dans les plus brefs délais, souvent faire taire certains bruits erronés ou mettre un bémol aux rumeurs...Et puis soyons réalistes, la majeure partie de notre lectorat réside en zones rurales, la Gazette Républicaine est une institution dans la région malgré son titre désuet. Fondé au début du 20ème siècle, avec une interruption pendant l’occupation allemande, le quotidien maintient son tirage à un bon niveau. Dans les années 60, un sondage effectué auprès des lecteurs concernant la modernisation du titre avait démontré combien ils restaient attachés à ce titre  

 

- Un cadavre en décomposition avancée qui flottait à la surface de la Livette, découvert ce matin par un promeneur, le corps a été transporté dans nos services spécialisés, le médecin légiste est à l’œuvre,  l’homme avait une corde au cou dont le  bout a été comme cisaillé, ce qui laisse supposer qu’un poids avait été accroché initialement, un équipe de plongeurs a été diligentée, si vous avez un peu de temps, venez nous rejoindre sur place, vers quatorze heures, au lieu-dit moulin de la Brèche, commune de Lannois, vous situez cet endroit?

- Je vois approximativement le lieu, si vous avez l’amabilité de me prévenir, c’est que vous supposez qu’il ne s’agit pas un suicide?

- Effectivement, c’est assez compliqué à expliquer, quelques indices troublants, et puis ce moulin a un antécédent, il y a onze ans, un corps avait été repêché dans les mêmes conditions, le suicide avait été privilégié et finalement retenu malgré certaines réserves mais aucun fait nouveau n’avait permis de maintenir le dossier ouvert.

Le gendarme connaît nos priorités, dès qu’un mystère plane au-dessus de la mort, l’intérêt est multiplié.

Une petite demie heure d’une autoroute peu encombrée et j’aborde une départementale agréable; de belles lignes droites, un revêtement récent, une circulation très fluide, ce qui permet de doubler aisément les attelages agricoles nombreux en cette saison de moisson. Le plaisir de rouler sans problème ne dure que quelques kilomètres, je quitte l’asphalte roulant pour une chaussée bosselée et sinueuse. Etroite, la route est encaissée et bordée de champs de maïs; la visibilité est réduite et je dois négocier chaque virage avec prudence. Je suis déjà venu dans ce village de Lannois, l’an dernier au printemps, l’incendie d’une ferme avait fait une victime, un handicapé physique supposé être le pyromane.

L’ancien moulin est situé avant le village, sur la droite, un peu en contrebas; il est construit à cheval sur la Livette, une rivière qui fut très poissonneuse mais qui, comme de nombreux cours d’eau, connaît une pollution permanente, les eaux de ruissellement lui apporte des nitrates et divers produits chimiques utilisés dans l’agriculture, trop souvent à l’excès, d’autres substances polluantes sont déversées par certains particuliers qui ne respectent plus rien.

Je descends un chemin gravillonné et pénètre dans l’enceinte de la propriété; deux voitures particulières sont garées sur le parking, aucun autre véhicule. Serais-je en avance ou en retard? Un gros chien noir vient à ma rencontre; je garde ma portière ouverte, une précaution si je dois me mettre rapidement à l’abri de crocs antipathiques. A première vue, ce canidé a l’air débonnaire et bienveillant à mon égard, il trottine dans ma direction en remuant la queue et en dressant les oreilles.

- Sultan, au pied.

Emergeant d’un bosquet de lauriers, une dame vient d’apparaître; elle est déguisée en jardinière d’opérette, salopette verte aux plis amidonnés, élégant chapeau de paille, petites bottes en caoutchouc,  sécateur à la main.

- Vous désirez monsieur?

La voix est claire et mélodieuse,

J’explique ma présence sur ses terres.

- Le bief est accessible par un autre chemin, sur l’autre rive, en sortant d’ici, vous prenez à droite en direction du village, puis encore à droite dans un chemin, vous passez devant une maison abandonné, ensuite vous franchissez un pont, à nouveau à droite, les pompiers et les gendarmes sont sur place depuis une bonne dizaine de minutes, je suis au courant... un cadavre repêché dans le bief.

Je remercie la dame et m’apprêtais à remonter dans mon véhicule.

- Vous n’êtes pas monsieur Passy de la Gazette Républicaine?

Je confirme.

- Venez, vous pouvez emprunter notre passerelle pour rejoindre ces messieurs sur l’autre rive, cela vous évitera le détour... Sultan vous aime bien dîtes donc.

Effectivement, le gros toutou gambade autour de moi,  me fait la fête, pourtant je n’ai jamais eu l’honneur de le  rencontrer.

- Généralement, je plais aux chiens... et aux gosses.

- C’est un bon point pour vous, les enfants et les animaux ont une approche particulière, une approche que nous adultes avons malheureusement perdue.

Nous contournons l’ancien moulin magnifiquement réhabilité, les pierres apparentes et les menuiseries croisillonnées s’harmonisent parfaitement avec la couverture en tuiles romanes, l’allée de gravillons roses est embaumée, mon nez sélectif reconnaît l’odeur agréable du chèvrefeuille en fleurs. Deux tilleuls à la couronne dense ombrent généreusement une terrasse surplombant la rivière.

- Voilà, ils sont là-bas, je vous laisse, à tout à l’heure monsieur Passy.

Je franchis un petit pont de bois enjambant un bras canalisé, en aval, l’ancien bief est limité par des vannes.

Beaucoup de monde à proximité de l’écluse, des gendarmes et des pompiers, un plongeur se prépare à descendre dans une eau sombre et apparemment profonde.



23/02/2011
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