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Un été ordinaire

Un Eté Ordinaire

 

Avant-propos

Frédéric Delanaud, étudiant et fils d’un industriel du bois passe ses grandes vacances dans la maison familiale où vivent Pierre-Louis, son père, veuf depuis six ans, sa tante Odette, célibataire, ainsi que Marina, la compagne de son père et Sylvette, une cousine orpheline. Durant cet été 1959, de nombreux évènements vont secouer la vie de cette famille, Frédéric quitte le monde de l’adolescence pour entrer dans celui des adultes. 

 

Chapitre I

 

- Cette Sylvette est une gourde, je me demande  pourquoi  nous continuons à la supporter, elle et ses bêtises, regarde cette marque sur le pied de la petite table en acajou, toute fraîche, elle a fait cela hier matin en passant l’aspirateur, avoue qu’elle n’a soin de rien dans cette maison.

Mon père restait immobile et ne répondait pas de suite, debout, une main appuyée sur le bec de cane de la porte-fenêtre, il regardait dehors. Je savais dans quelle direction se portait son regard, au-delà de la pelouse, bien plus loin que le bosquet, vers la masse épaisse de la forêt. Je devinais ses pensées, quand il était dans cette attitude, elles rejoignaient  les miennes. J’attendais qu’il tourne la tête, lentement comme à son habitude,  il se devait de répondre à Marina, et sa réplique était connue d’avance.

- Je te signale aimablement que cette gourde est ma nièce et que nous sommes dans l’obligation de la supporter du moins jusqu'à sa majorité.

- Toi peut-être, Pierre-Louis, mais moi je n’ai pas cette obligation, elle n’est pas ma nièce.

Un haussement d’épaule, mon père reprenait sa position initiale et certainement le cours de ses pensées.

- Et je te signale non moins aimablement qu’elle n’est la tienne que par alliance... qu’elle n’était...

- Suffit Marina,  tu  dépasses les limites, j’ai pris des engagements et je ne puis m’y soustraire... tout de même.

Je devais faire diversion pour éviter les dérapages verbaux comme cela se produisait souvent les dimanches de pluie quand nous restions confinés à la maison, je posais le livre que je venais d’attaquer, trop compliqué pour moi, suis-je réellement ignare comme l’affirme péremptoirement tante Odette ?

Sylvette était souvent au centre de controverses, c’était une sorte de leitmotiv pour entretenir une conversation, alimenter une polémique ; ma cousine avait bon dos, en réalité, dans cette maison, elle n’était qu’une domestique bon marché, n’ayant pour tout salaire que le gîte et le couvert plus quelques vêtements et une paire de chaussures de temps à autre, au fur et à mesure qu’elle grandissait.

 

- Je vais faire un tour dans le parc.

- Par ce vilain temps, quelle drôle d’idée, et en revenant, tu vas encore salir l’escalier et la terrasse.

- Marina a raison Frédéric, chaque fois que tu vas te promener sur la pelouse, tu te crois obligé de galoper allègrement sur le carrelage, nous pouvons te suivre à la trace, et en prime tu projettes de la terre sur les vitres et sur la façade, une façade repeinte à neuf qui plus est.

- Je dirais même qu’il prend un malin plaisir à laisser ses empreintes boueuses sachant que cela me dérange.

Bien vu chère madame, je prends mon plaisir où je le trouve, j’en trouve tellement peu dans cette famille, dans ce milieu bourgeois qui m’étouffe, et  vous voir crier comme une souris prise à la gorge dans une souricière est un plaisir divin dont je ne me lasse jamais.

- Puisque tu sors mon garçon, va donc faire un petit tour à la scierie, du côté des séchoirs, rends-toi utile au moins.

Et un ‘ au moins’ de plus lâché par  mon père; dans une déclaration relativement courte devant ses administrés, le jour de la dernière fête nationale,  j’en avais noté vingt deux, j’imaginais que dans les  réunions cantonales et départementales où sa verve s’exprimait régulièrement, monsieur le maire de Calaumont battait largement ce record.

La scierie, notre scierie...édifiée tout près de l’habitation, cette usine qui tient une place considérable dans la vie de tous les jours chez les Delanaud. Quand je suis à la maison, les dimanches et durant les  vacances, j’entends parler d’elle à chaque repas et même en dehors, elle est omniprésente, quelques fois encombrante.

- Et que dois-je faire du côté des séchoirs, monsieur mon  patron ?

- Question idiote et inutile, tu contrôles leur bon fonctionnement, tu vérifies la température et le degré d’hygrométrie, tu sais lire les appareils de mesure tout de même, je t’ai initié à cette pratique durant les vacances de Pâques... tu regardes également si une porte n’est pas malencontreusement entrouverte, ce qui arrive fréquemment et provoque des déperditions importantes, ta tante n’est pas là pour accomplir cette surveillance ponctuelle, tu peux la remplacer au moins.

- Et le veilleur? A quoi sert notre  veilleur? Il se contente de veiller sur le foyer de la chaudière.

- Je t’en prie Frédéric, tu sais très bien qu’à cette heure-ci, et à plus forte raison un dimanche, Ronron se trouve dans un état qui ne lui permet plus de raisonner logiquement.

- Et pourquoi continuons-nous à  supporter et à payer ce gros Ronron roux continuellement rond ?

Je n’attendais aucune réponse de mon père, mes astuces verbales l’énervaient,  mais j’avais fait mouche, la belle Marina baissait la tête sur son canevas. C’est elle qui aurait pu répondre à cette question «  parce que c’est mon frère et que nous sommes dans l’obligation de le supporter »

 

Comment imaginer que nous étions  en plein été, au mois de juillet; depuis le 14, le feu d’artifice et le début des vacances,  la pluie tombait pratiquement sans discontinuer, huit jours de grisaille et de froid relatif.

- A l’opposé, ta tante meurt de chaleur à Ischia, tu as lu sa dernière carte postale, au moins.

Ma tante, ma chère tante Odette surnommée la ‘taupe’ ou la ‘grise’ et même la ‘taupe grise ’,  la véritable patronne de la scierie, cette femme petite et boulotte, à l’âge indéterminé, à l’énergie inépuisable, en cure à Ischia, dans la baie de Napoli, comme si les stations thermales de France ne pouvaient soigner efficacement ses douleurs rhumatismales. 

-  Les boues d’Ischia sont d’origine volcanique et, sur place, c’est autre chose, Legris est catégorique.

Si Legris l’affirme ; ce soi-disant docteur est un charlatan surtout très intéressé par l’argent de la famille Delanaud, il sait s’y prendre pour extorquer des billets de banque à dame Harpagone.

 Trois grandes semaines sans voir l’ombre de la taupe grise, quel plaisir! Sans entendre sa voix grinçante, quelle joie! Sans respirer ses effluves aigrelettes, quel régal! Si seulement le volcan avait la bonne idée de se réveiller pendant qu’elle trempe ses grosses fesses dans la bouillasse, je prie Vulcain et tous les saints de l’enfer pour que cela se produise.

 

- Dès son retour, nous irons, Marina et moi faire une croisière dans les îles Grecques, j’y suis allé avec ta maman juste avant la guerre, c’était sublime...

Je serrais les dents, certain que papa n’avait aucune envie de retourner sur les lieux qu’il avait visités avec maman, bien au contraire, mais sa belle Marina voulait lui faire oublier ses souvenirs, le rendre amnésique. A leur retour, elle allait gommer le passé, les photos du dernier voyage allaient remplacer celles prises avec maman, l’album familial serait comme d’habitude épuré, remis au goût du jour ; je récupérerai les clichés délaissés et les mettrai dans une boîte à chaussures, en attendant de reconstituer un album.

- Ensuite ce sera ton tour de partir mon garçon, tu l’auras bien mérité. Pendant les congés de l’usine et notre absence, tu sais que d’importants travaux de rénovation vont être entrepris dans le grand bâtiment, je te charge de leur surveillance, allez, je te fais confiance, je te nomme maître d’œuvre, tu prendras connaissance des plans.

C’était sans compter sur la suprématie dictatoriale de ma tante, elle ne voudra jamais laisser la responsabilité d’une telle tâche à un jeune blanc-bec de dix sept ans et demi, fut-il doué pour tout ce qui touche l’agencement, la construction.

-  Pierre-Louis, ton fiston devrait entreprendre des études d’architecture, il a le sens de l’organisation, de la distribution des surfaces et des volumes, il dessine parfaitement les formes géométriques.

La déclaration de Jean-Philippe, décorateur et ami de papa m’avait fait plaisir, je venais d’effectuer un stage dans son atelier, stage que j’aurais aimé renouveler cette année si cet artiste n’avait eu la fâcheuse idée de jeter sa voiture contre un arbre et de mourir le lendemain matin à l’hôpital.

 



14/04/2011
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