Les yeux de la lune
L’Alsacien était sportif, nous avions couru pendant les trois kilomètres qui nous menaient au grand parc, c’est le chef des maquisards en personne qui venait prendre livraison de la nouvelle recrue.
- Nous en avons deux autres, ils sont remontés à fond, ils veulent se venger, vous avez de la chance, nous filons vers l’est...Michel est passé, il vous donne le bonjour, il doit être déjà du côté de Metz avec ses hommes, ils sabotent les livraisons d’armes de l’ennemi.
A peine revenu à la ferme, grand-père me harponnait.
- Monte avec moi aux Jardins, il faut ramasser les prunes avant que les Américains arrivent, qui sait si nous ne seront pas obligés de rester dans les caves pendant plusieurs jours.
J’avais envie de refuser mais je savais que pour grand-père, laisser des prunes à la merci des guêpes et des limaçons était un drame, il lui fallait remplir ses tonneaux, sa réserve de « goutte » s’épuisait, la récolte de fruits de l’an dernier avait été catastrophique.
Je passais prévenir maman et lui parlait de Michel, elle feignait l’indifférence mais un léger tremblement de ses mains trahissait son émoi.
- Tu sais que les Allemands minent le pont ? madame Richard est venue m’inviter à monter chez elle, sa cave voûtée est plus saine que celle de la ferme...elle pensait que tu viendrais aussi.
- Dans les Jardins, aucun risque, c’est trop loin.
C’était bien pour faire plaisir à mon aïeul, ramasser les mirabelles, quetsches et reines-claudes était une corvée pour moi, les fruits étaient tellement murs qu’ils poissaient les mains. Et puis l’omniprésence d’insectes bourdonnants à l’abdomen rayé et au dard venimeux ne me disait rien qui vaille, j’avais quelques souvenirs cuisants d’atroces piqûres, c’était il y a deux ans.
- C’était de ta faute si les guêpes t’ont piqué, tu les avais provoquées, ignore-les, elles ne te feront aucun mal.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 10 autres membres