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Le grand verger (2)

Je m’approchais timidement, me penchais, guettant le moindre de signe de vie sur le visage de cet homme étendu sur le dos, les bras en croix. J’avais un brusque mouvement de recul...

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L’homme des bois, le renégat, celui que tout le village craignait et évitait, c’était lui, j’en étais sur. Je ne l’avais jamais vu mais la barbe épaisse, la chevelure en broussaille, la petite taille, autant d’éléments qui me permettaient d’identifier cet homme. Et puis sa présence à cet endroit était naturelle, tout le monde sait qu’il gîte dans le secteur, en pleine forêt.

Mon premier réflexe était de partir, d’abandonner ce gisant, quelqu’un d’autre passerait bien sur cette route...qui? à plus de quatre kilomètres de tout lieu habité par des gens civilisés, par ce vilain temps, à cette heure tardive. Je n’avais croisé personne depuis l’embranchement de Farennes, depuis que j’avais abordé cette route bosselée serpentant à travers l’épaisse forêt.

 Deux à trois fois par semaine, profitant des grandes vacances, je quittais mon village de Labréville  pour rejoindre celui de Prévocourt, j’allais retrouver  Michel Mathieu mon copain de toujours. Début juillet, il avait quitté sa place de commis de culture chez les Mouret et avait trouvé du travail à la ferme Cordier. Il était temps, les Mouret et particulièrement Maurice, le fils, étaient odieux, traitant leur employé comme un esclave, allant même jusqu’aux coups. Michel me l’avait avoué,  m’avait montré des  ecchymoses au bas de son dos et sur les bras,  j’avais immédiatement alerté grand-père. Le lendemain même, mon aïeul réussissait à extirper mon copain des griffes de ses bourreaux. J’aurais voulu que Michel vienne travailler dans notre exploitation agricole, elle emploie quatre permanents et plusieurs occasionnels, seulement, la mécanisation arrivant à grands pas,   une réduction de personnel était envisagée.

- Tu comprends mon garçon, c’est malheureusement impossible, nous allons acheter un tracteur, nous supprimerons deux attelages de chevaux.

J’avais supposé qu’une autre raison  motivait ce refus et puis mon cher oncle Charles, le véritable patron de l’exploitation agricole avait trouvé, comme à son habitude,  un bon moyen de me contrarier.

Mon copain avait, quelques jours avant, rencontré monsieur Cordier dans les champs qui lui avait proposé de l’embaucher, il avait de suite retrouvé un emploi.

 

Je me penchais à nouveau, j’avais l’impression qu’un mouvement imperceptible agitait les yeux grands ouverts, qu’une sorte de lueur brillait encore. Je me hasardais à toucher une main... elle était glacée, mort le bonhomme, je ne peux plus rien pour lui, je vais descendre à Labréville  téléphoner aux gendarmes, afin qu’ils viennent enlever ce cadavre avant que des bêtes sauvages ne viennent le dépecer... A cette pensée, des frissons me glaçaient, où est le corps de papa, en poussière, en fumée? D’après de vagues  renseignements, il aurait été calciné dans son avion en flammes, nous n’avons jamais su réellement comment il était mort, maman espérait pendant longtemps qu’il soit encore en vie ou elle voulait me le faire croire, elle m’en parlait durant la guerre. Le soir en me couchant, elle me disait qu’il allait revenir auprès de nous dès la fin des hostilités. Hélas si la libération a vu de nombreux papas reprendre leur place, le mien n’est jamais revenu et l’espoir s’est transformé en profonde tristesse.

Tremblant comme une feuille, j’essayais tout de même de placer mon pouce sur le poignet, cherchant le pouls. Je sentais une pulsation régulière, mais était-ce son cœur qui battait encore ou le mien qui cognait comme un sourd?

Je faisais un bond en arrière, l’homme venait d’émettre un râle, le dernier probablement, plus rien à faire...



12/10/2010
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