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La nymphe vengeresse

J’approchais enfin de mon but, j’avais quitté la route nationale depuis moins de quatre kilomètres mais, sur cette petite route serpentant à travers la forêt, j’avais l’impression de ne plus avancer, les virages se succédaient et se ressemblaient, le décor était toujours le même.

Des lambeaux de brume restaient accrochés aux arbres dénudés et les pâles rayons du soleil  parvenaient à peine à assécher le macadam, après les pluies abondantes et incessantes des premières semaines de ce mois de novembre fidèle à sa mauvaise réputation, nous avions droit à une accalmie, «  l’été de la Saint-Martin » affirmaient les ruraux. Cette accalmie préfigurait certainement l’entrée véritable dans l’hiver, décembre débutait régulièrement par une baisse sensible de la température, la neige pouvait même faire son apparition, d’après les prévisions de la météo.

Je débouchais au-dessus d’une vaste clairière et retrouvais, à mes pieds, la bourgade de Mauzieux, sa vallée encaissée, ses maisons disséminées à flanc de coteau, le clocher massif de son église émergeant d’une sapinière. Curieux endroit, alors que les bourgs et villages des alentours avaient connus une expansion relativement importante depuis la  fin de la seconde guerre mondiale, la localité de Mauzieux, repliée sur elle-même n’avait pratiquement pas évoluée depuis un demi siècle, seuls quelques  pavillons neufs ont été construits sur l’emplacement de la gare désaffectée.

Ce n’est pas la première fois que je viens me promener dans ce coin excentré,  à la limite de la zone d’édition de la Gazette Républicaine, là où  notre quotidien conserve une très forte influence, maintenant un bon niveau de diffusion depuis plusieurs années. Ma première visite remonte à mes débuts dans la rubrique des faits divers, nous avions été alertés par la gendarmerie à la suite d’une agression au domicile d’un couple de personnes âgées. Le correspondant local était en vacances et ceux des localités voisines s’étaient récusés, pour ne pas dire défilés, quant au directeur de l’agence chargée du secteur, il était paraît-il surchargé de travail. Le boss m’avait envoyé sur le terrain alors que je venais de suivre un procès d’assises interminable et minable à la fois, j’avais sauté sur l’occasion, le besoin de respirer un peu d’air frais, d’entendre autres choses qu’un réquisitoire monocorde et des plaidoiries pompeuses, de voir d’autres têtes que celles d’un président cacochyme et d’un coupable amorphe.

- Mon cher Laurent, nous devons être attentifs à ce qui se passe aux marches de notre secteur, nos aimables collègues et voisins sont aux aguets, prêts à grignoter notre part de fromage, et puis, une raison supplémentaire, il faut suivre de près tout ce qui touche les personnes âgées, ce sont des clients fidèles qui peuvent transmettre les bonnes habitudes à leurs descendants, nos statistiques prouvent que  les retraités  forment l’ossature de notre  lectorat, ne l’oubliez jamais.

Le grand chef a raison, particulièrement sur le second point, les lettres qui arrivent à la rédaction prouvent qu’effectivement les anciens s’intéressent réellement  à ce que nous publions, la moindre erreur nous est signalée et, quand elle concerne des personnes ou des lieux les remarques sont pertinentes, voire quelques fois véhémentes.

L’agression nocturne subie par le couple faisait partie d’une série de visites impromptues situées dans le même secteur géographique, toujours chez des personnes vulnérables, la paire de malfaisants avait été mal inspirée en s’attaquant aux époux Limonet. Paul Limonet, soixante huit ans, ancien bûcheron, bon pied, bon œil avait réussi à entraîner ses  visiteurs  dans un réduit et à les enfermer à double tour. Les gendarmes n’avaient plus qu’à cueillir  deux gaillards penauds dont l’un avait hérité  d’un superbe coquard. J’avais découvert cette commune particulière, un peu plus de trois mille habitants vivant pratiquement en autarcie, continuant à exploiter les ressources de la forêt proche. Bûcherons, ouvriers d’une importante scierie, menuisiers et ébénistes représentent une grande partie de la population. Il subsiste encore de nombreux petits commerçants, la grande distribution n’ayant aucun intérêt à s’installer dans cette enclave. J’avais également remarqué l’esprit particulier qui règne à Mauzieux, sous l’apparence d’individualisme, chaque habitation étant souvent isolée de sa voisine par des murs ou des haies, les habitants sont très attachés aux traditions et restent solidaires.

Profitant de ma présence à Mauzieux et trouvant cette bourgade et ses habitants dignes d’intérêt, j’avais écrit un  article  en marge de l’agression,  et, si j’avais éprouvé quelques difficultés à pénétrer tous les milieux, après la parution de mon papier, j’avais reçu de nombreuses lettres agréables ce qui est rare dans notre job, le contraire étant nettement plus fréquent, à croire que les mécontents ont la plume facile. Mais sommes-nous différents dans le journalisme ? Pour beaucoup, il est malheureusement plus facile de relater des méfaits que des bonnes actions, des accidents que des événements heureux, et puis il faut bien l’admettre, les lecteurs préfèrent les histoires tristes, voire sordides aux romans à l’eau de rose... dommage.

 La demande téléphonique de monsieur Garassaux, maire du village, découlait certainement de mon premier contact avec Mauzieux.

- Si vous avez un peu de temps à nous consacrer, j’aimerais vous rencontrer chez moi, monsieur Passy, vous demander conseil.

Il ne m’avait rien dit de plus, m’invitant à lui rendre visite dès que possible , ce que j’avais accepté, sachant que ces gens de la forêt comme ceux de la terre ne font appel qu’en cas d’urgence ; nous avions fixé un rendez-vous, j’étais à l’heure.

……………



30/09/2011
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