Les Planchettes à la une
Langlois doit être proche de la retraite, un peu rondouillard, largement dégarni, une allure plutôt sympathique, ses vêtements civils lui vont parfaitement, je l'imagine mal dans la peau d'un gendarme.
- Votre programme monsieur Laurent?
- J'avais envisagé de voir messieurs Sadoul, Descamps et Muller et de finir par le café de la Poste.
- Sadoul, l'agriculteur, c'est possible, Yves Descamps? c'est le fils d'un garagiste, il est en faculté de droit, à Montpellier je crois, le menuisier est souvent sur des chantiers, peu de chance de le trouver, nous passerons tout de même à l'atelier, quant à la vieille folle du café de la Poste sans problème, mais autant vous prévenir d’avance, elle est véritablement dérangée.
Nous sortons de l'agglomération, longeons le pied de la colline et abordons une route à flanc de coteau; une montée et nous longeons un groupe de bâtiments hétéroclites précédant une vaste cour envahie d'engins de toutes sortes: camions grumiers, tracteurs forestiers, grues, beaucoup de ces engins semblent hors service.
- L'antre des frères Bassuet, un sacré bazar, ils conservent tout, depuis toujours, c’est le cimetière des éléphants.
Des champs, des près à perte de vue, une route sinueuse et nous apercevons enfin les toits de la ferme.
- Autant vous prévenir tout de suite, Sadoul va commencer par rouspéter puis il nous invitera à boire un coup...
Différente de ce que j'imaginais, la ferme de la Rosette est moderne, avenante; les hangars et bâtiments agricoles sont à demi dissimulés derrière une haie de thuyas parfaitement taillée, la façade du corps de logis est abondamment fleurie, son toit d'ardoises, ses ouvertures arrondies, ses croisées à petits bois lui donne une allure de petit château.
- Garez-vous sur le côté, le bureau est au sous-sol.
Nous sonnons à une porte.
-...Monsieur Langlois, je vous regardais à travers la vitre, je ne vous avais pas reconnu, vous êtes drôlement différent en civil.
- Mieux ou...?
- Personnellement, je vous préfère en uniforme, avec le képi, d’ailleurs j’ai un faible pour les uniformes.
Une jeune femme nous introduit dans une pièce aménagée en bureau, matériel informatique et imprimante, fax, rien de manque.
Le gendarme fait les présentations.
- Carole, la fille de monsieur Sadoul.
- Fille et secrétaire comme vous pouvez le constater...ainsi vous êtes donc le fameux reporter qui s'intéresse aux pauvres hères.
- Pas spécialement, aux jolies filles telles que vous également.
J'ai du faire une bêtise, la demoiselle me regarde béatement, ses yeux de biche étincellent, sans la présence d'un témoin, je crois qu'elle me sauterait au cou; elle doit apprécier les compliments d'autant plus que, sans être laide, la demoiselle a un visage ingrat, seuls ses yeux prit individuellement sauve un peu la... face.
- Mon père est derrière, un tracteur en panne, je vous l'appelle.
Carole actionne un Interphone, une voix bourrue répond, une brève conversation et nous entendons une sorte d’aboiement.
- Pas le temps de recevoir ces messieurs aujourd’hui...une autre fois... bon, qu'ils viennent jusqu'ici.
- Vous pouvez prendre votre voiture, dernier hangar à gauche.
Carole nous accompagne à l'extérieur, elle ne me quitte pas des yeux et me gratifie d’un sourire qui se veut enjôleur. Nous franchissons une large ouverture dans la haie et pénétrons dans une vaste cour.
- J'avais oublié de vous prévenir, elle s'enflamme vite la demoiselle Sadoul, bien l’impression que vous lui avez tapé dans l’œil.
Monsieur Sadoul est affairé au-dessus du moteur d'un énorme tracteur.
- Je ne vous serre pas la main, voyez il faut tout faire dans ce putain de métier, comptable et mécano, biologiste et vétérinaire.... essaye voir Antoine.
Le dénommé Antoine, juché dans la cabine actionne le démarreur, le moulin tousse un peu et se met à tourner en dégageant un nuage de fumée noire.
- Et voilà le travail...c'est au sujet de Bébert, que voulez-vous savoir exactement?
Nous nous écartons de l'engin qui fait un bruit infernal
- Il a travaillé à la ferme jusqu'au vendredi soir, nous montions des panneaux pour fabriquer des réserves à grain, je vais stocker ma prochaine récolte et livrer en hiver, trop de temps perdu au silo et des prix du marché incontournables; il était habile le gaillard, quand il était à jeun naturellement, astucieux même, avant de partir, il m'a demandé un acompte pour le week-end.
- Combien?
- Trois cents francs, je savais que le lundi il reviendrait, entre le samedi et le dimanche il allait tout croquer... et boire... puis, personne le matin, j'ai pensé qu'il cuvait encore, j'ai attendu l'après-midi, personne non plus... j'ai envoyé un de mes employés à sa recherche, il n'était pas chez lui, finalement il a retrouvé sa trace, au cimetière, il était sur la tombe de sa mère, mon gars lui a demandé pourquoi il n'est pas venu travailler, il lui a répondu que je devais chercher un autre cloueur de panneaux, que pour lui c'était fini les conneries... en effet, le lendemain il était mort... votre supposition sur un meurtre éventuel est difficile à croire, qui aurait pu supprimer un type comme Bébert, toujours de bon poil, les accidents arrivent, le bon Dieu n’est pas toujours clément envers les ivrognes.
Monsieur Sadoul nous fait comprendre poliment qu'il est pressé, contrairement aux prévisions de Langlois, il ne nous propose pas à boire mais nous invite à revenir une autre fois.
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