Le bois des grives
La consultation des archives est toujours surveillée par des curieux, cette fois, c’est le patron qui s’étonne de me voir descendre au sous-sol.
-Que mijotes-tu Laurent ?
Je réponds évasivement, pour le moment c’est juste par curiosité.
C’est bien le regretté Raymond Martin qui avait traité cette affaire, les dates indiquées par Jean Calluis sont exactes.
Gauthier de Verlimont, la victime, était maire de Saint-André-les-Vignes et conseiller général du canton de Valizey, propriétaire de terres et de forêts, il demeurait dans le château de ses ancêtres. Il avait été tué à son poste lors d’une battue au gros gibier, une balle en pleine tête. Le projectile provenait d’un fusil de chasse, un modèle récent et performant, elle avait été tirée à bonne distance avait déclaré les experts, l’assassin ne pouvait être qu’un excellent tireur.
Rapidement, l’enquête se dirigeait vers le fils d’un fermier du châtelain, Jean Calluis. Cet homme, ancien militaire, avait manifesté l’intention de prendre la succession de son père et il comptait conserver en location plusieurs hectares appartenant à la famille de Verlimont, soit la moitié des terrains exploités par la ferme, mais le propriétaire n’était pas d’accord.
-Je ne veux pas d’un ancien militaire, d’une tête brûlée comme fermier… avait-il déclaré à plusieurs reprises, de nombreux témoins l’affirmaient dont le notaire de Valizey.
Un autre motif pouvait avoir provoqué un coup de colère de Calluis, il avait épousé Thérèse Sidot, une employée de maison travaillant au château, Gauthier de Verlimont claironnait partout que la jeune fille était la maitresse de son frère Norbert, que c’était une intrigante, qu’elle n’avait pas rompu après son mariage, que Jean Calluis était cocu.
Le jour du crime, Jean Calluis avait été aperçu se dirigeant à moto vers la forêt où se déroulait la chasse, aux alentours de treize heures trente, il avait son fusil en bandoulière, un autre témoin, un pêcheur, dit l’avoir vu au bord d’un étang dans l’après-midi.
-Il a jeté quelque chose dans l’eau.
A l’endroit désigné, à deux mètres de profondeur, un plongeur avait retrouvé un fusil vite identifié, il s’agissait bien de l’arme qui venait de servir à trucider le maire, le coupable était tout trouvé.
Malgré les témoignages et la preuve, l’accusé n’a jamais avoué, affirmant que cette arme lui avait été dérobée.
Le procès avait été rondement mené, les témoins confirmaient leurs premières déclarations. Dans l’un de ses articles, Raymond Martin avait écrit que le jeune avocat de la défense n’avait pas pesé bien lourd devant l’accusation. Et pourtant Jean Calluis n’avait été condamné qu’à vingt ans de réclusion alors que le procureur avait demandé la perpétuité. Le jury populaire avait admis certaines circonstances atténuantes, d’autre part le passé militaire exemplaire de l’accusé avait pesé en sa faveur dans la balance.
Deux ans avant le crime, son épouse avait accouché d’une fille, Jeannette puis, en 1990, atteinte d’une maladie incurable, Thérèse décédait.
Je retrouvais aussi l’annonce de sa libération après quinze ans de réclusion, sa bonne conduite en prison et le décès de son épouse avaient permis cette remise de peine.
Ma curiosité professionnelle et une certaine intuition me poussant à croire qu’il y avait des zones d’ombre dans cette affaire, je reprenais contact avec l’agriculteur par téléphone.
-Vous êtes sympathique mais j’ai réfléchis, à quoi cela servirait de revenir en arrière, ma Thérèse est morte de chagrin, ma mère l’avait précédée, mon père ensuite, je survis pour ma Jeannette… mais notre invitation tient toujours, si vous avez l’occasion de passer dans les environs, venez nous dire un petit bonjour, cela nous fera plaisir.
Je contacte Louis Simon, un ancien journaliste de la Gazette, une référence dans le domaine politique, il signait des billets assez virulents concernant les méthodes électorales de certains élus de la région, il devait avoir de quoi écrire avec le défunt maire.
-Viens me voir quand tu veux gamin, je te ferais un portrait de ce Gauthier de Verlimont, tu ne seras pas déçu.
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