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Que c’est long un quart d’heure d’une telle attente, j’avais couru vers l’ancien chalet, puis, empruntant un sentier tracé à l’intérieur du bois, j’étais arrivé à hauteur de la datcha.

- Tiens regarde ce que j’ai trouvé ce matin dans une de mes sandales.

Marina me tendait un morceau de papier provenant d’une feuille de cahier, quelques mots tracés au crayon gras : JE SAIS TOUT SALOPE.

- Dans une sandale?

- Oui, ce papier emballait un gros caillou, je ne pouvais le rater.

- Et tes chaussures étaient à quel endroit?

- Comme toujours au bout du couloir, près de la buanderie, je m’en sers  uniquement pour aller au séchoir, chercher du linge. 

- C’est donc quelqu’un de la maison.

- Ou du bureau, ou même un autre, n’importe qui peut entrer par la porte arrière, elle est rarement fermée.

- L’écriture, au crayon bleu, c’est un crayon que les parqueteurs utilisent pour marquer les paquets.

- Ce genre de craie, tous les ouvriers en ont dans la poche, moi-même j’en ai deux ou trois qui traînent dans un tiroir, et l’écriture est impossible à classer.

- Je comprends ton état maintenant.

- J’étais heureuse ce matin au réveil, crois-moi Frrred, j’étais honteuse mais heurrreuse...file, si le corbeau est dans les parages, mon cas va s’aggraver, ce soir à la télévision nous pourrons parler, ta tante a horreur des westerns.

- Toi aussi.

- Moi aussi, sauf ce soir.

- Quel petit con, quel petit con!

- Odette, calme-toi,  et sois polie au moins, ce monsieur fait son travail que veux-tu, nous ne pouvons lui reprocher.

- A cause de ton fameux Louis, et tu lui accorderas encore des faveurs à ce pompier minable, un permis de construire une porcherie, son garage est une véritable porcherie,  Pierre-Louis,  tu es trop laxiste, ta bonté nous conduira à la catastrophe.

L’expert voulait attendre le résultat de l’enquête des gendarmes avant de donner le feu vert à une indemnisation, d’autre part, il avait été pointilleux sur la valeur des machines détruites, avait demandé un bilan et signalé que l’outillage était largement amorti. La taupe grise était déçue de la tournure des événements.

J’avais caché la clé du chalet de maman dans un autre endroit secret, averti mon père en lui recommandant de prendre garde aux espions.

- Que dis-tu, Sylvette savait où se trouvait la clé? et qu’irait-elle faire dans notre chalet, le ménage? Cela m’étonnerait, tu as raison cette affaire est nébuleuse, je vais prendre des précautions. Pourvu que cet Emilien? C’est un ancien légionnaire, des gaillards aux mœurs douteuses, je l’avais déjà surpris s’offrant des privautés avec ta cousine, je l’avais sermonné et pensais qu’il avait compris la leçon, au moins.

La demande du chef de brigade avait l’heur de déplaire à ma tante.

- Monsieur Delanaud, pourrions-nous  parler en tête à tête?

Mon père avait entraîné le militaire dans son bureau, une pièce située au sous-sol de la maison, avec accès extérieur, un véritable bunker qu’il utilisait rarement  sauf pour des entretiens particuliers.

- Je me demande ce qu’ils peuvent se dire, cet adjudant a une tête de conspirateur, si nous avons été victime d’un acte criminel, il serait bon que nous soyons tous au courant, qu’en penses-tu Frédéric? Qui sait si la prochaine fois ce bandit n’essayera pas d’attenter à notre vie. Ce n’est pas ton avis? Qui pourrait nous vouloir du mal, nous sommes tellement charitables et conciliants, nous faisons vivre de nombreuses familles...

La charité était bien ordonnée chez le frère et la sœur Delanaud, elle commençait toujours par eux-mêmes, quand à la conciliation, elle ressemblait à un marchandage où l’avantage allait toujours du côté des patrons.

Je regardais Marina, les lamentations de la taupe grise arrivaient par vagues successives, je croyais entendre les litanies des saints le jour des Rogations, lors de la procession dans la nature organisée par le curé, des psalmodies répétitives et soûlantes. Marina était allongée sur un transat de la terrasse,  le soleil d’été se montrant enfin généreux, pourquoi était-elle resté ici, alors qu’habituellement elle filait vers son chalet ? Elle avait enfilé son bikini bleu, celui qui ne cache que les endroits stratégiques,  je balayais son corps du regard. Elle était sur le dos et je m’attardais particulièrement  sur une partie cachée, ce lieu que généreusement elle m’avait permis d’investir. Les questions que je me posais étaient aux antipodes de celles de ma tante. Aurais-je encore l’insigne honneur et le plaisir suprême de pénétrer dans son sanctuaire humide et doux? Aurais-je encore le privilège de sentir son ventre sous le mien, ses cuisses le long des miennes?

- Elle est folle, elle va prendre des coups de soleil, tu es de mon avis Frédéric?

Cette fois oui ma tante.

- J’ai de la crème solaire dans ma salle de bains, je l’ai rapportée d’Italie, il faut l’utiliser sinon elle va se dessécher, va la chercher, sur la petite tablette près du lavabo, tu verras, un tube brun...moi je guette la sortie de ces messieurs.

Il fallait vraiment qu’elle tienne à intercepter le gendarme pour oser m’envoyer dans ses appartements.    

Sans trop m’attarder, je faisais un peu l’inventaire visuel de cette partie du terrier de la taupe. Contrairement à celles de la salle de bains de Marina, les tablettes ne sont pas surchargées de produit de beauté, je situais rapidement le tube de crème solaire. Je chassais de mon esprit tortueux l’image d’une Odette toute nue dans sa baignoire sabot, ce doit être un  spectacle horrible...mais, à part sa taille inexistence, ses seins que j’imagine flasques, des fesses probablement avachies, elle doit avoir la même configuration à un niveau déterminé? finalement les sensations avec une moche et mal foutue doivent être identiques qu’avec des ‘Marina’, il suffit de fermer les yeux ou la lumière...mon nez délicat humait une odeur bizarre, certainement pas un parfum ou une eau de toilette, tante Odette ignore leur existence, non cette odeur ...de l’essence! Comme un chien de chasse, je reniflais à droite et à gauche...le peignoir en lainage d’un rouge bolchevique, c’est lui le diffuseur...si Louis l’empêcheur de tourner en rond venait promener son grand nez ici, il aurait la même conclusion que moi...mais pourquoi la taupe grise aurait-elle mis le feu au tas de sciure? pour toucher des indemnités et permettre la rénovation  la salle d’affûtage à bon compte. Je comprends son anxiété, et si je disais au brave gendarme à moustaches de se tromper de porte, de  visiter une certaine salle de bains?

- Tu en as mis du temps, elle était pourtant visible?

Un handicap pour la grise, elle a régulièrement le nez bouché, souvent elle sort un mouchoir de sa manche, l’impression qu’elle va faire apparaître un lapin ou une colombe, se mouche de façon bruyante, ce qui pour une dame de son rang est incongru. Elle ne s’est pas rendu compte de l’imprégnation tenace dans sa houppelande de mère Noël.

- Tu veux que te l’applique Marina?

- Petit coquin,  merci tout de même adorable page, mais je reste peu de temps exposée, je vais aller me promener dans les bois...pendant que le loup n’y est pas... assez de bêtises, nous nous voyons ce soir au cours des grandes chevauchées et des bagarres de saloon, d’accord Frrred.

- Toujours aussi aimable avec toi la demoiselle, quand cesserez-vous de vous asticoter ainsi?

Bonne comédienne Marina, alors qu’elle me disait des mots gentils, elle avait pris une expression moqueuse, à la limite du désagréable.